lundi 26 mai 2008

entre le jour et la nuit au bord de la mer


J'ai compris peu à peu qu'écrire sur mes amours était un miroir trop aisé à leur réalisation et que, peut-être, si je n'avais pas à les écrire, je ne les vivrais pas. En tout cas, pas tous, pas comme ça. J'ai assez nettement cessé de rencontrer de nouveaux garçons (tout est dans le "assez", bien sûr). J'ai mis un terme à plusieurs histoires qui me noyaient dans ma vie. J'ai repris le travail avec ferveur. J'en ai presque oublié mon narcissisme et mon goût de l'intrigue. Bien sûr, j'ai revu ce garçon, un vrai amant régulier à la Garrel, je me suis laissé tenté par tel autre, j'attends de retourner à Berlin vers Th. auquel je pense toujours avec tendresse et désir. Et puis je ne sais pas, j'ai vu beaucoup de films, j'ai vu beaucoup d'amis ; c'est si rassurant les films et les amis.

Pourtant, au 6e étage d'un immeuble avec terrasse donnant sur la mer, je me suis abandonné à nouveau à une forme de l'amour. Ce n'était certes pas un inconnu, ni tout à fait un ami, mais quelqu'un que je voulais depuis longtemps mieux connaître. Nous nous sommes d'abord assis à la lisière de la plage, là où tout est possible, notamment ne pas se salir tout en profitant du paysage. Je devais rentrer, il m'a accompagné, suivi presque. Aucun de nous deux ne savait ce qui allait arriver. J'étais heureux de le voir, et lui aussi je crois. Je crois seulement car il ne sourit jamais. Sa tristesse n'est pas le moindre de ses charmes. Son prénom et son teint religieux se prêtaient bien à cette soirée sur la côte, une soirée passée à regarder le soleil se coucher sur la terrasse. Le ciel était immense, infini. C'était si bouleversant de se perdre dans le paysage que nous n'avons pas parlé pendant vingt bonnes minutes. Nous sommes restés là à attendre que le soleil passe derrière la montagne. Quand il ne restait plus qu'une traînée rosée, je l'ai embrassé. Je l'ai peut-être embrassé parce que je n'avais rien à lui dire. Ou peut-être comme un joueur - "pour voir". Il a cédé à mon baiser. C'était un baiser très doux, que je voulais comme mon désir, profond, durable et d'une douceur infini. Seule la sonnerie de son téléphone a mis fin à cet instant volé, nous ramenant brutalement au réel. Puis il m'a dit : il y a beaucoup de gens entre nous. Ce qui est vrai. Pourtant, j'avais envie de lui dire que non, qu'il n'y avait ici que lui et moi. J'ai cru qu'il mettait ainsi élégamment fin à notre étreinte ; au contraire, c'est lui cette fois qui m'a embrassé. Nous n'avions pas quitté la terrasse posée au beau milieu du monde dans un équilibre précaire. Bientôt, nos belles chemises sont tombées et nos peaux se sont frôlées avec la même douceur. Son corps était d'une beauté à mes yeux inédite. La perfection de sa musculature fine était quelque chose que je n'avais jamais particulièrement désiré. Et soudain, j'avais en face de moi le garçon le mieux fait du monde. C'était une statue grecque devant le soleil couchant sur la mer. Je touchais sa poitrine et sentait ma main glisser d'elle-même, enivrée par cette beauté à laquelle je prenais goût. Plus tard, notre nudité nous a obligés à entrer dans la salle de bain. Il ne nous a pas regardés dans le grand miroir. Je lui en ai été reconnaissant. Il a fermé les yeux et s'est enfin abandonné. Parfois il me regardait, et c'était comme la première fois. Il me regardait en face. Peut-être ce plaisir que nous nous sommes donnés nous permettra-t-il de nous atteindre. Peut-être que grâce à la beauté de la mer ce soir-là, nous deviendrons amis. Ou alors de vrais amants, de vieux amants ; je garderais en moi encore longtemps l'image de son corps de statue respirant ; je l'embrasserais encore très doucement, pour ne surtout pas le briser.