mardi 21 août 2007

la nostalgie du soleil


Je pense à ce garçon que je ne reverrai peut-être jamais et que j'ai peut-être vraiment aimé. Je pense à cette île italienne que je ne reverrai peut-être jamais mais dont je me souviendrai toujours - son eau au bleu si transparent. Je me sens comme en exil. C'est peut-être qu'il fait froid aujourd'hui à Paris. Oui, j'ai froid et je repense au soleil de la Sardaigne. Si je donne le nom d'un garçon ou d'un pays à mon exil, n'est-il pas plus profond, plus durable ? Oui, mais être en exil de quoi exactement ? Il y a certains jours où je ne me sens pas à ma place, l'impression que c'est un autre que moi qui est là, qu'en prononçant mon nom c'est à un autre qu'on s'adresse. Et moi, où suis-je alors ? Nulle part. Ce que je sais, c'est que mon oisiveté a assez duré, il est temps que je retourne au travail.

mardi 14 août 2007

le feu sacré


Hier, j'ai fait l'amour trois fois, avec trois garçons différents.

J'ai dit "Viens" à mon Italien en transit à Milan, et il est venu. Une semaine après notre rencontre impromptue, il était là, dans mes bras, à Paris. Nous n'avions qu'un week-end pour nous connaître, alors il fallait faire vite, très vite. Aller au cinéma et au musée, parler - beaucoup - lui faire à manger (au moins un boeuf Stroganoff et un tiramisu), et faire l'amour, bien sûr. Apprendre par coeur chaque millimètre de sa peau, caresser ses cicatrices, se souvenir du goût de sa langue, de son sexe, s'imprégner de son odeur. Parfois, sa fierté italienne m'amusait, il prenait mal mon ironie française, et puis quand je boudais, venait me couvrir de baisers. Le dernier jour, dans un souffle il s'est serré contre moi, a susuré un "Je t'aime" si doux et si faible que le moindre frémissement de vent par la fenêtre, le moindre pas sur le plancher du dessus aurait pu le recouvrir. La dernière fois que nous avons fait l'amour, il s'est mis à pleurer, des sanglots entrecoupés d'excuses ("Je ne suis pas comme ça d'habitude"). Je n'ai rien dit. Je l'ai juste serré plus fort, et à mon tour, je l'ai couvert de baisers ; et puis, j'ai bu ses larmes. Quand il est parti ce matin-là, je l'ai regardé s'éloigner encadré par la vitre sale du RER qui le conduisait à son avion. Je suis sorti de la Gare du Nord et j'ai marché, marché, marché.

J'ai nagé, nagé, nagé. Ma tête était vide, j'étais content de ne penser à rien. Quand je suis sorti de la piscine, je savais que je retrouverais ma chambre blanche et qu'il ne serait plus là. Je ne voulais pas être surpris par une douleur inattendue alors j'avais fait le ménage, changé les draps - tout faire pour ne pas me complaire dans son absence. Quand je suis sorti de la piscine, j'avais un message. Ce n'était pas encore le sien, qui arriverait plus tard, dans la soirée, c'était celui d'un ancien ami-amant, un Brésilien avec qui j'avais beaucoup partagé il y a 9 mois et qui était de retour à Paris pour quelques jours. Il est immédiatement venu chez moi, s'est assis sur mon canapé, m'a confié la cause de son long séjour au Brésil - la mort de son père. Tout en me parlant, il me tenait les mains. Notre complicité physique était évidente dès la première rencontre, et sa sensualité me faisait toujours le même effet, un lent et irrésistible glissement. C'est naturellement que notre verve, nos confidences se changèrent en baisers, en morsures. Nous fîmes l'amour longtemps, comme si c'était la première fois. Je notais secrètement les petites différences de son corps avec le corps de mon souvenir, son ventre moins parfaitement tendu, son torse plus poilu, son sexe plus large. Pendant les heures que dura cet amour, nous n'avions pas prononcé un seul mot. C'est tout aussi naturellement que la jouissance mit fin à nos silences et que, sous la douche, je le retrouvais volubile, tel que je l'avais toujours connu. Sur le pas de la porte, nous échangeons un dernier baiser, nous promettant de nous revoir en septembre et nous partons tous les deux rejoindre notre vie, le réel.

Mon réel, c'était un film d'Oshima avec Julien - le bien nommé Les Plaisirs de la chair. Julien n'est pas beau, il n'est même pas mon genre, et pourtant je me sens attaché à lui par un lien presque animal. Peut-être est-ce sa voix suave, inégalable. Souvent au téléphone, je fais durer la conversation, l'encourage à continuer juste pour entendre le son de sa voix un peu plus longtemps. Je n'imagine jamais que je referai l'amour avec lui et, à chaque fois, je suis comme débordé par une force, peut-être son désir à lui, peut-être mon propre corps surpris de ce qu'il découvre. Ce soir-là, après le film, après le dîner, nous avons dormi chez lui. Nous nous sommes embrassés voracement, déshabillés rapidement mais nous avons mis longtemps à jouir. Son sperme était le troisième que je recevais de la journée, pourtant ce fut comme une première fois. Je fus aussi étonné de jouir aussi fort après deux orgasmes aussi beaux et pleins que ceux qui l'avaient précédé. Après l'amour, je restais alangui sur le lit tandis qu'il se confiait en me caressant les cuisses. Je lui reprochais mollement d'avoir accueilli chez lui pendant plusieurs jours un ami qui ne le méritait pas et que lui-même ne respectait pas vraiment, à peine un ami en somme, jusqu'à ce qu'il m'avoue qu'il l'avait fait pour se sentir moins seul. Tu es si seul que ça ? Atrocement. J'approche la main de son visage pour le saisir. Qu'il sente une présence alliée. A cet instant, son regard est doux comme sa voix et je me plonge longtemps dans la contemplation de ce bleu si triste bien au-delà du beau et du laid. Je le soupçonne d'avoir laissé la fenêtre ouverte, cette nuit-là, pour que je sois obligé de me coller contre lui, ce que j'aurais de toute façon fait. Tard dans la nuit, nous nous sommes endormis comme un seul corps.

Hier, j'ai allumé trois cierges, brûlé trois fois dans l'église de l'amour. Oui, j'ai fait l'amour trois fois, avec trois garçons différents. Je les ai tous aimés.

lundi 6 août 2007

il n'y a d'amour généreux que celui qui se sait en même temps passager et singulier


1. Sur une plage italienne, fin d'après-midi.
L'eau est incroyablement transparente, je le regarde. Il le sait, comme je sais aussi qu'il me regarde. Il se tourne vers l'horizon puis vers moi puis vers l'horizon... Plus tard, il passera devant moi, s'arrêtera un peu loin. Il n'est pas le seul à changer ainsi de place ; c'est une danse, les garçons font les paons sur la plage. Inédit aux yeux voraces, j'attire les regards comme un petit rongeur au milieu des vautours.IIs passent et repassent, s'arrêtent, jouent les indifférents, fixent au loin. Lui n'est pas comme les autres. Quand j'ai repris la route ce soir-là , juste après le coucher du soleil, en montant dans sa voiture, il s'est tourné vers moi et a esquissé un signe, comme un adieu pudique et impossible. Cette nuit-là , je repenserai en me tournant dans un sommeil qui tardera à venir aux garçons de la plage, le regard avide, dressés comme des mâts au beau milieu du sable et des roches, je repenserai à lui surtout - le parfum du regret. Alors quand le lendemain, je me trouve à nouveau sur cette plage, presque par hasard, et qu'il est là, je le contemple avec plus d'insistance. Il n'est sans doute pas le plus beau de la plage, mais il me plaît infiniment. Une heure passe, je nage, l'eau toujours aussi claire, le soleil toujours aussi fort. Il repasse. Mon coeur bat très fort. Il avance devant moi, à deux mètres et je sais que c'est une illusion mais j'ai l'impression qu'il passe très très lentement. Je pourrais sentir son odeur, puisque le vent est favorable. Il s'assoit un peu plus loin. Après moult tergiversations, je me décide, pour la première fois de ma vie, à faire le premier pas. Ce doit être l'esprit des vacances, la légèreté d'être à l'étranger, croire que tout est possible.

Nous parlons longtemps, debout sur la plage. Nous dessinons des pas de danse, danse qui cette fois-ci se joue à deux. Les autres doivent nous regarder, spectateurs d'un moment volé, mais nous n'y pensons pas, nous sommes trop occupés à nous regarder, à nous écouter. Il remarque mon coup de soleil, répond à mes sourires, tente quelques compliments mais ce sont ses yeux le plus beau des compliments. Je pourrais vivre l'éternité sous ce regard tendre et généreux. Celui de Y. non loin de là s'est éteint : il ne me regarde plus avec l'amour qui nous a bercés pendant six ans. Ne pas penser au puits sans fond de souffrances qu'est cette rupture qui approche et lever les yeux vers l'amour qui naît sur les cendres encore brûlantes... Le soleil se couche à nouveau tandis que nos corps offerts aux derniers rayons se tournent autour sans se toucher. Il a l'air doux, incroyablement doux. Nous prenons rendez-vous pour dîner une heure plus tard et passons une étrange soirée - Y est là, et parce que cet amour est transparent je ne prends pas la peine de le lui cacher, pour la première fois je lui donne l'éclosion de mon amour en spectacle.

2. Les rues de la ville, la nuit.
Se donner la main sous la table. Se frôler en marchant côte à côte. S'arrêter soudainement, et s'embrasser dans une ruelle déserte. Voilà ce que nous faisons. Nous nous nous découvrons comme deux adolescents, et tout a le goût des premières fois. Nous baissons les armes, ou plutôt lui car moi je ne suis jamais armé dans ces moments-là - inconscient, je n'ai peur de rien et veux bien tout donner, tout prendre et tout perdre. Je sens le moment exact de sa chute, celui où il tombe amoureux. Je jouis de ce moment sans cynisme car moi aussi à cet instant je suis touché par sa présence et je sens que nous vivons un moment unique. Un moment...

3. Car il faut partir.
Le dernier soir, nous cherchons un endroit où nous aimer pour la première fois (la seule?). La chambre d'hôtel est exclue - Y. y est à ne plus m'attendre, déçu par mon égoïsme. Et mon Italien habite si loin... Alors il m'emmène près du phare, nous trouvons des vestiges de la guerre et nous nous embrassons, oubliant le temps qui passe, l'Histoire étouffée sous nos baisers, les regards d'autres garçons qui se font de plus en plus insistants. Car nous sommes sur un lieu de drague. Ironie, c'est le seul endroit où nous pouvons nous toucher. Mais déjà, je remarque un garçon qui se cache pour nous épier et je l'imagine en train de nous souiller. Nous partons et nous nous arrêtons sur un chemin rocailleux, perdu. Dans sa voiture, nous nous déshabillons pour la première fois. Côte à côte, nous nous caressons. Je touche cette peau si désirée, si brune et si douce. L'étreinte. Je finis par jouir sans même me toucher. Je trace un Pollock sur son torse. J'étale en espérant qu'il garde mon odeur longtemps. La nuit est tombée derrière nous. Nous nous embrassons encore.

L'horloge me rappelle cruellement qu'il faut partir. Et c'est le lieu même de notre amour qui est le véhicule de notre séparation. Sur la route du retour, nous nous taisons. J'essaie quelques paroles réconfortantes, il me réplique qu'il est plus vieux que moi, que je suis Don Giovanni, un méchant, qu'il faut que je revienne et qu'il sait que je ne le ferais pas. Il me dit tout ça en riant, alors moi aussi je ris, je lui dis qu'il exagère, explore quelques théories sur l'amour et la rencontre. Je le sens rageur, au bord d'exploser. Il ne me dit plus que des phrases simples et définitives : il me veut pour lui seul, me demande une exclusivité pour au moins 20 ou 30 ans, je lui dis que ce n'est pas possible, que s'il m'aime un peu il doit aussi aimer ma liberté. Puis silence. Je sais bien qu'il a raison. Je me tourne vers lui qui conduit toujours, inexorablement vers notre séparation. Il a du mal à cacher sa tristesse. Il regarde l'heure, plus que 5 minutes, il est au bord de pleurer. C'est très beau un garçon qui se retient de pleurer. Toutes mes paroles seraient indécentes, alors je regarde par la fenêtre cette mer qui n'en finit pas d'être bleue. Je suis fatigué, je suis toujours plus sensible quand je suis fatigué. Je ne vais pas me mettre à pleurer, quand même, ce serait ridicule. Quand la voiture s'arrêtera quelques minutes plus tard, nous aurons à peine échangé quelques mots de plus. Nous nous regarderons, un vrai, un long regard, et je partirai en emportant les kleenex qui ont servi à nettoyer notre méfait.

4. Cette nuit-là quand je rentre auprès de Y, je ne me sens pas très bien. Je ne me sens pas coupable de l'avoir trompé une fois de plus, non, je me sens d'un égoïsme dévorant. Avoir laissé Y seul, qui savait très bien ce qui était en train de se passer. Avoir aimé, fugitivement, J., avoir construit cette si belle fiction alors que lui est rentré avec sa tristesse et sa solitude. Je me rêvais en ange qui apporte l'amour, et je ne suis qu'un voleur, un petit malfrat, un médiocre qui laisse tomber les garçons comme des quilles sur son passage, tout en les maintenant dans l'espoir d'un grand amour. Et pourtant je suis sincère, terriblement sincère. Tandis que J. m'écrit pour me dire sa souffrance, je me dis que je vais éviter les garçons pendant un moment. Et pour me consoler, je relis le passage du Mythe de Sisyphe sur Don Juan :

"Nous n’appelons amour ce qui nous lie à certains êtres que par référence à une façon de voir collective et dont les livres et les légendes sont responsables. Mais de l’amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d’intelligence qui me lie à tel être. Ce composé n’est pas le même pour tel autre. Je n’ai pas le droit de recouvrir toutes ces expériences du même nom. Cela dispense de les mener des mêmes gestes. L’homme absurde multiplie encore ici ce qu’il peut unifier. Ainsi découvre-t-il une nouvelle façon d’être qui le libère au moins autant qu’elle libère ceux qui l’approchent. Il n’y a d’amour généreux que celui qui se sait en même temps passager et singulier. Ce sont toutes ces morts et toutes ces renaissances qui font pour Don Juan la gerbe de sa vie. C’est la façon qu’il a de donner et de faire vivre. Je laisse à juger si l’on peut parler d’égoïsme."

5. De retour, dans l'avion.
Aujourd'hui, peut-être est-ce la tristesse et la fatigue du retour mais je me sens si loin de toutes les justifications théoriques que j'ai depuis quelques années pris tant d'énergie et de plaisir à élaborer. Car que sont les idées face à la souffrance d'un garçon ?

6. Il pleut sur Paris, et je me suis fait prendre à mon propre jeu. Je repense au regard de J., à ces moments volés, qui sont les seuls que je sais vivre, et je lui écris. Je lui dis qu'il m'a donné de la force et que je voudrais lui en avoir donné aussi, ne pas être qu'une source de tristesse... Quelques minutes après, j'ai sa réponse :

"Tu m'as donné de la joie, beaucoup de joie. Même si je souffre, je suis content, content de souffrir justement... parce que je ne pensais plus que c'était possible. J'étais devenu un glaçon, je pensais être froid et détaché. J'ai bien vu avec toi que ce n'était pas vrai..."

En cet instant, ses paroles me donnent l'impression de ne pas m'être trompé sur tout. Je suis incroyablement joyeux et triste à la fois. Ce n'est pas l'état le plus agréable mais c'est ainsi que j'affronte l'absurdité du monde et de ma vie. Oui, j'existe.