samedi 30 août 2008

le syndrome de stendhal


Il m'aura donc fallu toutes ces années pour comprendre. Tous ces livres, toutes ces pages, tous ces mots placés les uns à la suite des autres. Comment de si petites unités (un mot, ce n'est vraiment rien) peuvent-elles causer d'aussi vives douleurs ?

Il m'a fallu survivre à trois bronchites - moi qui n'en avais jamais eue - lors de la lecture de La Montagne magique l'année dernière. Au fur et à mesure de l'avancée du récit, je me sentais aussi souffreteux que le pauvre Hans Castorp qui en pleine santé rend visite à son cousin dans un sanatorium et y reste sept années... La lecture intégrale des romans de Maupassant m'a peu à peu saisi par la même forme d'hypnose. Goûtant de plus en plus son écriture précise, je me suis laissé aller à relire les passages les plus beaux (qui sont aussi les plus violents), à les relire encore jusqu'à en être tout imprégné. Peu à peu, les nuits furent moins douces. Il y eut les insomnies de 3 heures, les cauchemars de 5, et les réveils précoces de 7. Puis il y eut des tremblements au niveau du cœur. Comme dans une horloge, accroché par un long fil un peu trop fin, mon cœur se balançait dans ma cage thoracique (ce qui doit être physiquement impossible, mais qui est bel et bien la sensation que je ressentais alors). Et puis les crises sont devenues plus nombreuses, diurnes, jusqu'à quatre par jour. La certitude que ma mort était proche était mon seul recours, car cela n'avait rien d'effrayant, au contraire. Ah ! Enfin, quelque chose donnera enfin un sens à cette vie... Voilà ce que je me disais. Quand une amie a reconnu ses propres symptômes à ma description, elle m'a offert un antidote imparable : pouvoir nommer le mal était déjà lutter contre lui. Ainsi, le poison et le contre-poison étaient identiques. Ce qu'elle a dit ? Crise d'angoisse. L'angoisse de Maupassant. L'angoisse d'être enfermé dans des projets professionnels stériles. L'angoisse d'une vie de couple agonisante. L'angoisse d'un déménagement qui n'en finit pas. L'angoisse d'un meilleur ami qui devient gravement paranoïaque. L'angoisse de ne plus être aimé, et de ne plus aimer non plus. Le mois d'août parisien aura été une prison de plus. Mais il aura suffi que cette amie me dise ce mot, que je sache, pour que mes poumons et mon cœur retrouvent en partie leur fonction et leur efficacité naturelles. Maintenant, je les guette, mes crises, et je les calme avant même qu'elles n'aient commencé. Elles viennent à des moments précis, avant le déjeuner quand je manque de force, en fin de journée quand je sens que le temps a passé et que je me demande si j'ai assez vécu, et la nuit - les plus vives sont la nuit. Elles font parties de moi à présent, ces crises. Je les dompte, je les caresse, je les respecte : elles sont la juste révolte de mon corps contre les chaînes que je m'impose.

Quant au syndrome de Stendhal, psychiatriquement reconnu, c'est celui que ressentait l'auteur du Rouge et le noir devant des œuvres en Italie, des œuvres dont la beauté était si forte qu'il était gagné par des vertiges, palpitations, tremblements. Le plaisir et la douleur en même temps. Sagement, j'ai remis la lecture des deux derniers romans de Maupassant à plus tard. Je me noie à présent dans Murakami, cela me semble moins dangereux. Mais dieu sait sur quel rivage il me mènera...

jeudi 7 août 2008

une si douce violence


Quoi ? Tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse, à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux: non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout, où je la trouve ; et je cède facilement à cette douce violence, dont elle nous entraîne ; j'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle, n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages, et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable, et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommages le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait ; à combattre par des transports, par des larmes, et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme, qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules, dont elle se fait un honneur, et la mener doucement, où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour; si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin, il n'est rien de si doux, que de triompher de la résistance d'une belle personne ; et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs, je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

Molière, Dom Juan, Acte I scène 2