jeudi 29 mars 2007

sous-venir


J'étais pourtant dans un état de déliquescence avancée lorsque j'ai croisé EL* descendant par hasard de la rame de métro dans laquelle je montais, et qu'elle s'est écriée : ta beauté s'élève. Elle prit à partie quelques passants pour les faire acquiescer, tout en mimant cette montée au ciel avec de grands gestes. Ce fut mon premier éclat rire de la journée, mais loin d'être le dernier puisque, le hasard en ayant décidé ainsi, je la passerais avec elle, cette journée.

Quelques jours plus tard, je trouve bien ingrates mes lamentations d'enfant gâté - même si, bien sûr, là n'est pas la question - et je me mets sérieusement au travail. L'occupation étant l'ennemi de la dépression, je me surprends à éprouver de la satisfaction - un sentiment bien oublié - et même de la joie, pas une joie hystérique et désordonnée, comme il y a quelques semaines, non, une joie voluptueuse et pérenne. Quand le soleil s'est couché tout à l'heure, toute la grisaille semblait avoir fui dans son sillage. Et pour la première fois, en m'attardant sur une photographie de mon île, je n'ai pas pensé à elle comme à un bonheur perdu. Pendant tout ce temps, elle était donc là, quelque part en moi, lovée et prête à éclore, et moi, à cet instant, je jouissais de l'avoir vécue, cette île, de pouvoir l'évoquer, la faire jaillir à ma guise, comme un diamant qu'on sortirait d'un coffre pour bien se souvenir qu'on est l'homme le plus riche du monde...

lundi 26 mars 2007

le pas de trop


Se reprendre. Il faut se reprendre. Après le paradis de l'île, plus dure fut la chute. Jour de Vénus. Lumière rouge d'une boîte encombrée d'âmes damnées et jadis aimées. Malaise. Regards torves. Un autre, il y en aura toujours un autre. Désespoir. Whisky. Whisky. Vodka. Whisky. Tu veux qu'on aille chez toi ? Si tu veux. Tu veux me prendre ? Si tu veux. Puis le matin : tu veux que je te prenne ? Si tu veux. Et le soir : qu'est-ce que tu veux manger, ça ou ça ? Ce que tu veux. On prend quelle ligne ? Comme tu veux. Tu préfères y aller à pieds ? Si tu veux. Tu as froid ? Je ne sais pas. Non, ça va.

Et cette voix qui crie en moi : j'ai froid, je meurs de froid, je suis en train de mourir. Et pendant l'amour, cette impression que rien ne changera, que cela soit fait ou pas. Que ni ce baiser, ni ce mot, n'y changeront rien. Que demain nous serons les mêmes, toujours les mêmes, qu'il n'y a plus, qu'il n'y aura jamais plus de nécessité. Si tu veux, comme tu veux, puisque je n'existe plus.

Alors, je m'écoute répondre de loin - cette indécision nouvelle qui est la mienne, dans laquelle je me suis laissé couler.

Ah ! L'aventure, l'aventure, l'avventura... Voilà ce que j'ai aimé, là-bas, dans ton île, C*, la douceur de la nécessité, être à sa place, profiter et vivre. Mais le bonheur ne se raconte pas. On ne voit le blanc du drap qu'une fois qu'il est taché...

mercredi 21 mars 2007

l'amour est plus froid que la mort


C'est avec une certaine distance que je regarde aujourd'hui ma vie.

Il y a quelques jours, j'ai fait tomber un dvd de ma bibliothèque, et j'ai lu : "C'est un film contre les sentiments, parce que je crois que les sentiments peuvent être source de manipulation et que les gens en abusent effectivement." (R.W. Fassbinder)

Comme souvent dans les moments de très grande honnêteté envers moi-même, j'ai été foudroyé. En un éclair, j'ai compris ce que JM m'avait dit, quelques mois plus tôt pourtant, et qui me semblait toujours un peu mystérieux. Tandis que je lui lisais ma réponse à un mail où une élève, qui a quasiment le double de mon âge, me demandait comment mener sa vie dans une situation qui lui était particulièrement pénible, l'hilarité nous avait gagnés tous les deux. J'avais répondu très poliment, et même chaleureusement, comme je sais faire, et nous étions en train de rire. JM m'a donc dit, non sans une certaine admiration dans la voix et une légère frayeur dans le regard : "Ce que tu peux être fassbindérien". J'étais sincère, et pourtant il y avait ce je ne sais quoi de distance qui était pire que de la méchanceté. Oui, en jouant sans cesse la carte des sentiments, j'asservissais les autres ; et moi-même par la même occasion. Moi qui avais toujours fustigé la froideur, je me trouvais soudain plus monstrueux que le plus glacé des coeurs.

Hier, dans le train, tandis que je regardais la neige tomber par le scope de la vitre, je pensais à cet amant que je venais de quitter. Il était seul, il m'aimait, il venait de me le dire du moins, et il m'aimait pour les meilleures raisons du monde. Pas comme ce garçon qui m'avait violé du regard dans cette boîte de nuit parisienne quelques jours plus tôt, et qui paraît-il (m'avait-on alors glissé à l'oreille) était une "star de la nuit parisienne". Non, lui était tombé amoureux lors d'une de mes conférences. En m'écoutant, et en me regardant sourire - c'est ce qu'il m'a avoué sans honte, hier. Il est plus âgé que moi et pourtant je ne suis que le troisième homme de sa vie - son troisième corps d'homme. Comme je lui avais décrit ma situation et ma nature avant même notre premier baiser, il ne peut m'en vouloir et veut, bien sûr, profiter de tous les instants que je lui offre... que je lui offre ! Habileté terrible qui, hier dans le train, m'a brûlé les entrailles. C'était moi, avant, celui qui aimait le plus, celui qui souffrait, et comme ma place était glorieuse comparée à celle que j'occupe à présent ! A cet instant dans le train, je me suis juré de ne plus avoir d'amants, de ne plus jouer avec les sentiments et d'atteindre une réserve, froideur aux yeux de certains sans doute, mais aux miens, sagesse durement conquise.

Loin des regards et des boîtes parisiennes (tiens, je vais manquer sans regret une soirée au Pulp), je prends un autre train, pour rejoindre enfin l'île de C*, quitter ce moi vicié, et renaître ailleurs. Dans cet autre train, mon nouvel ordinateur sous le bras, je parviens à dater le début de ma dépression au 1er février - jour du vol de mon précédent ordinateur. Cet enlèvement a été aussi celui d'une part non négligeable de mon intimité. Alors que je tape sur les touches vierges, le nouveau efface l'ancien, et ma légèreté d'antan rejaillit, en avance comme le printemps. Dans le train, C* est à côté de moi, virevolante et émerveillée, comme à son habitude. Je regarde sa force unique qui en effrayerait plus d'un, avec une bienveillance sans cesse renouvelée. Je lui sais gré d'être aussi généreuse, aussi belle, aussi certaine que nous allons passer ensemble des moments sublimes. Plus tard, dans le bateau qui tangue, alors que nous nous racontons n'importe quoi pour nous divertir mutuellement du mal de mer qui nous guette, je me dis que, tout de même, c'est beau l'amitié.

jeudi 15 mars 2007

C'est drôle, de bien des choses dans ma vie, je peux dire "presque"


Je n'ai pas tellement pensé à lui depuis qu'il est parti loin et pour longtemps.

La rencontre eut lieu à la Cinémathèque lors de La Grande Parade - le premier King Vidor que je revoyais. Trois heures muettes côte à côte. Il faisait froid dans la salle et, déjà, je le trouvais beau, j'admirais l'incroyable douceur de son visage. Sa jeunesse était un leurre, et son goût des voyages aventureux l'avait forgé tel que je ne pouvais que trop bien le fantasmer - romanesque et fuyant. Il n'y avait pourtant, même lors de notre tendre face à face dans ce café ringard de Bercy, aucun jeu de séduction ; c'était le début d'une possible amitié dont je m'étonnais de l'absence d'ambiguïté. Lui aussi il s'étonnait, mais plutôt de trouver un petit Français féru de sa culture américaine - enfin quelqu'un ici qui connaisse Elliot Smith et Jon Brion, ai été au Largo, ai visité le Ghetti, et, petit miracle du hasard, ai traversé la rue de son enfance...

Il rêvait de voir Martha, il les avait presque tous vus, et plusieurs amis lui en avaient parlé. Évidemment, je l'avais chez moi - deux fois - et notre prochain rendez-vous était fixé. Je lui fis ce que je fais de mieux - un dîner de grand frère nourricier. Nous avons ri au film, bien mangé, beaucoup parlé. J'écoutais son accent tandis que l'heure tournait ; il allait manquer son métro, et je me disais que pour la première fois un garçon allait dormir ici, oui, j'allais l'inviter à dormir avec moi, et qu'il n'y aurait rien. Je souriais de cette pensée quand, sur le canapé-lit non encore déplié, pour la première fois, je vis dans ses yeux une lumière, mieux : une flamme. Il s'est approché de moi, et c'est naturellement que nos lèvres se sont jointes. Quand il est parti le lendemain, je connaissais son corps par coeur.

Il s'appelait Max, alors, bêtement, j'ai eu, très vite, l'envie de le baptiser "Max mon amour" - ah ! le pouvoir des signifiants. Plus tard, je lui expliquerai, pour prononcer cette formule une fois en sa présence, que, dans ce film, Charlotte Rampling couchait avec un singe. Nous en avons ri. C'est ce jour-là aussi qu'il m'avouera que son coeur ne lui appartenait plus, qu'il y avait eu quelqu'un d'autre avant, et qu'il ne pouvait pas encore. Fulgurance - je reste silencieux et comprends sa pudeur, ses silences. Je comprends aussi que les belles rencontres ont parfois lieu trop tôt ou trop tard, et que l'illusion du doux heurt des corps ne compense l'asynchronisme des sentiments que de façon très éphémère. J'ai envie de lui dire que cela m'est égal, que je n'attends rien, juste lui voler quelques instants encore avant son départ, que voir des grands films ensemble c'était pour moi tout ce qui comptait... Mais on ne peut pas dire à quelqu'un qu'on a envie d'être son ami, ce serait ridicule. Ma soudaine réserve a dû lui sembler de la froideur, une indifférence blessée peut-être. Pourtant, dans ma tête, je murmurais une dernière fois "Max mon amour"... C'est "L.A. Boy" qui est sorti de ces lèvres qu'il avait embrassées quelques semaines plus tôt. Ce n'était d'ailleurs pas un mensonge : c'est bien du souvenir de L.A. que je m'étais entiché. Alors, dans un sourire ironique, je lui dis que je suis content, qu'il se souviendra de moi comme du "garçon de La Grande Parade et de Martha", que cela me flatte infiniment. J'en fais un peu trop, et cela l'amuse.

Samedi dernier, je retourne à la Cinémathèque pour voir les derniers films projetés de King Vidor. Je suis à côté d'une jeune femme, une amie. Il fait très chaud dans la salle.

lundi 12 mars 2007

la fuite, le désert


Rage, ô rage sans désespoir, me laisseras-tu enfin tranquille ?

Ce matin, j'ai été réveillé par le bruit des gouttes qui tombaient à côté de mon lit. La voisine, une blonde d'une cinquantaine d'années tout droit sortie d'un épisode de Desperate Housewives et dont les seules occupations semblent être - autant que mon oreille puisse en juger - jouer du piano, avoir un orgasme une fois par mois, mais très bruyant pour compenser, et prendre des bains, venait de se livrer à cette dernière activité - bain qu'elle avait laissé couler en prenant béatement son petit déjeuner. Elle m'ouvre en peignoir, sourit, se moque gentiment de moi - ça doit être mon infâme épi qui me donne l'air d'un collégien. Je pense très fort "S... de bourgeoise" qui ne passe malheureusement pas le cap des amygdales. Cela m'aurait fait du bien. Je meurs d'envie de mordre. Ce matin, je me suis réveillé dans un film de Tsai Ming-liang, et s'ils font partie des films que je préfère regarder, ils n'étaient pas de ceux que j'avais envie de vivre.

Fuir, fuir, fuir. Cet épisode dérisoire n'est que la goutte d'eau, hier déjà je voulais être partout ailleurs que là où j'étais. Une jeune femme, amie de Y., petite bourge qui n'a pas été aimée par sa mère - c'est ainsi qu'elle se présente, et sa lucidité est bien la seule chose que je ne puisse pas lui reprocher - nous a pris en otages, déblatérant sur ses malheurs pendant 2h30 sans interruption, sans poser une seule question et sans être le moins du monde gênée de parsemer son récit de larmes et de petits rires hystériques qui faisaient se retourner les clients du café parisien. Elle s'excusait tout de même de temps en temps, mais reprenait de plus belle, rythmée par les "Hum hum" si tolérants de Y. - qui aurait dû se faire payer la séance, mais c'est moi qui suis allé payer l'addition pour que l'on puisse partir plus vite.
Quel est le moment où j'ai changé ? Certes, j'ai toujours eu honte quand une amie faisait une scène dans un café, parlait trop fort dans le métro de sa vie sexuelle déprimante, ou se mettait à interpeller les gens dans la rue ; mais j'avais, comme je ne sais plus qui, quelqu'un de reconnaissant sans doute, m'a dit une fois, "une forte tolérance à la folie". Oui, je me souviens, j'étais l'être le plus compassionnel qui soit, je me noyais dans les paroles des autres, plongeais dans leur souffrance et essayais d'éponger ce qui pouvait l'être. Au bout de vingt minutes de son discours, j'ai voulu quitter la table, au bout d'une heure, quitter Y., et au bout de 2, quitter le monde... Oh oui, aller m'enfermer ailleurs, loin, très loin...

Ma maladie a un nom : la misanthropie. Il y a certains jours où je ne peux plus faire semblant - mordre, mordre, mordre. Pourtant, j'aime sincèrement les gens - quand je les aime. Mais depuis quelques semaines, les seules personnes qui ne m'agacent pas sont celles qui partent - à New York, se réfugier sur une île, peu importe, il faut partir, fuir ce Paris vicié. La violence des gens, la méchanceté gratuite, même l'odeur, me rendent mauvais. Et plus que tout j'ai envie de fuir ce moi haineux.
J'ai dit il y a quelques jours à JM : "Le bonheur, c'est l'indifférence." Mais combien l'intelligence de l'esprit est supérieure à celle des actes! La rage au ventre, j'en suis si loin encore, de mon bonheur. Je rêve d'un garçon qui m'arrête dans la rue et me dise : "Je pars à la campagne, me réfugier dans le vert, viens avec moi." Alors, je pourrais écrire, penser (panser ?), aimer...

J'ai avancé mon départ sur l'île de C*. Dans l'attente, ma seule consolation est littéraire : JM m'a offert la nouvelle édition des Lettera amorosa de René Char, et je me réfugie tous les soirs sur La Montagne magique de Thomas Mann - une lecture bien à propos.

vendredi 9 mars 2007

Narcisse, ou les infortunes de la beauté



1.
Je me souviens d'un film où un jeune homme court dans un stade la nuit. Il tourne, il tourne, à n'en plus finir. Il vient de manger des dizaines de boîtes d'ananas en conserve périmées pour fêter (enterrer ?) les un mois de sa rupture avec sa copine. Il est un peu malade, de toutes ces boîtes d'ananas en sirop, et il a très envie de pleurer. Alors, il se met à courir, toute la nuit. En voix off, il dit qu'il court pour que toute l'eau de son corps s'évacue en sueur : ainsi, il ne pourra plus pleurer.

2.
C'est étrange cette expulsion de la douleur par le corps. Avant, il y a quelques années, moi aussi, je courais ; je courais au Jardin des Plantes tous les samedis matins, et j'avais l'impression très précise que c'était toujours ça de larmes en moins. C'est à cette époque que j'ai vu Chungking Express, j'étais alors en convalescence, après ma rupture (plus amicale qu'amoureuse certes, mais ça ne m'empêche pas de l'avoir aimée et d'avoir souffert) avec la cruelle S*. J'ai ri en voyant le film.
Après mon déménagement loin du Jardin des Plantes, je me suis mis à aller à la piscine, me débarrassant de la peur idiote de me montrer en maillot ou assumant enfin son envers, une envie trouble d'exister physiquement aux yeux des autres. Et puis, il est si facile dans l'eau de crier. Essayez pour voir. Personne ne vous entend. Je vous déconseille néanmoins de pleurer, car si le lieu s'y prête en apparence, ce n'est pas très pratique avec les lunettes. De toute façon, je nage, et le mouvement de l'eau sur mon visage me fait sourire.
Comme à chaque fois que je me suis lancé dans quelque chose de nouveau, je me suis mis à nager frénétiquement... Qui eut cru que l'adolescent ingrat et grassouillet de 13-14 ans, celui-là même qui mettait son réveil à 5h du matin pour lire avant de partir à l'école Charlotte Brönté, celui-là encore qui détestait le sport et faisait semblant d'avoir une crise mystique qui lui sciait les jambes sur place à chaque compétition, oui qui eut cru que ce garçon deviendrait ce jeune homme dans le miroir, au corps ferme, presque élégant, désespérément joli, et fade.

3.
Il y a six ans, je n'existais pas, ou à peine - aux yeux des autres. Dans les boîtes de nuit que je fréquentais alors régulièrement, amitiés Internet interlopes obligent, on me regardait peu - ou alors je ne voyais rien parce que j'enlevais toujours mes lunettes et que lire Charlotte Brönté trop tôt le matin a des conséquences néfastes sur la vue, comme un chacun sait.
Un jour, j'ai enlevé définitivement mes lunettes, me suis laissé pousser quelques poils sur les joues : je me suis mis, soudainement, à exister. Transformation qui m'a valu un nouveau surnom, moins flatteur que celui qui était alors en vogue, "la Merteuil", qui venait de mon goût des manigances et des relations troubles... Ce nouveau nom, qui n'a heureusement pas fait long feu, venait d'une comédie regressive américaine, Not another teen movie (Sexe Academy, en français), et était celui de l'héroïne, salopette, cheveux attachés, grosses lunettes, et regard fuyant, qui en se lâchant les cheveux et en laissant tomber les lunettes devenait immanquablement une "fausse moche". Bref, j'entrais dans un nouveau club, mais je n'oubliais pas, au fond de moi, mes origines (physiques) modestes.

4.
Samedi, retour en boîte de nuit. Cela fait des lustres, à tel point que je retrouve le sentiment de gêne de mes débuts dans le grand monde... Je rejoins des amis. C'est toujours plus facile avec des amis. On regarde les gens, on commente, on comble le vide. Ils me parlent d'un garçon très beau. Je dis que moi, mon préféré c'est celui-là, le tee-shirt blanc. Ils ont repéré le même garçon : banalité de la beauté. Je suis des yeux cette tache blanche au milieu des gens qui, tout à coup, me semblent tous des ombres. Il est élégant, à l'aise. Il est jeune. Oh, comme j'aurais aimé être comme lui, cette facilité. Il danse, évidemment, il danse bien, il vient souvent, il doit avoir 23, 24 ans, 25 au plus. Il sait que tout le monde le regarde. D'ailleurs, tout à l'heure, n'a-t-il pa vu qu'on parlait de lui ? N'a-t-il pas eu un petit sourire narquois, non pas de gêne mais de légère satisfaction - légère parce que trop habituelle ?
Bref, il danse, et puis il parle à un garçon chemise noire célibataire que je connais bien. Lui aussi il a l'air de le connaître bien. Ils sont amis, il ne le quitte plus, mais certainement pas amants. Ils n'ont ni les gestes, ni les regards des amants. Il retourne danser, peut-être, en tout cas, il s'éloigne. Comme j'ai un peu bu (deux ou trois vodka orange, particulièrement bonnes chez P. qui revient de l'Est, plus la bière que je tiens à la main), je me retourne vers mes amis et, un tantinet fier, leur dis que je vais leur révèler dans quelques instants l'identité de ce garçon.
Vingt pas plus loin, je suis devant ma cible, chemise noire, que je m'apprête à questionner, quand une voix me salue dans mon dos. Je me retourne : du blanc m'éblouit. Il est là. Le tee-shirt blanc, sa petite barbiche, son sourire, tout est là, devant moi, à un baiser de distance. Il fait immédiatement tomber son briquet. Ah tiens, il est nerveux. Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire intérieurement, je vais allumer sa cigarette avec son briquet, non, pas possible ? Je pense très vite, et autant pour cacher mon rire que pour jouer la scène qu'il m'offre si innocemment, je suis déjà par terre, à ses pieds, et puis non déjà debout face à lui, ma main lui tend son briquet. Il a les mains chaudes. Il joue le type à l'aise, me pose quelques questions. Quand je lui dis ce que je fais, il trouve ça génial, comme tout le monde, et cela m'agace un peu parce qu'avant j'étais un petit étudiant et on me trouvait génial quand on me connaissait bien, et on me disait que je gagnais à être connu, et que j'étais une bonne surprise, maintenant tout le monde me dit que je suis comme je suis, c'est normal, ça se voit - une petite prostituée sociale qui appartient un peu à tout le monde, et rarement à quelqu'un... Donc, il est là devant moi, quelques questions, il est gêné de me dire son âge, il aimerait être plus vieux, là, tout à coup, devant moi, alors il joue encore, au petit mec mûr, il est touchant, je pense à ce moment-là qu'il ne me drague peut-être pas, mais quand je lève mes yeux vers les siens, ils me fixent, ses yeux, si bleus, en amande, alors je me dis que quelque chose se passe... Des amis à lui arrivent, l'appellent, il me lance un impérieux "Ne Bouge surtout pas". Et moi je souris et suis prêt à l'attendre la nuit des temps pour ce "surtout pas"-là... et puis je réfléchis, mon attente retombe, je souris, une petite tristesse, au fond nous ne nous sommes rien dit, mes amis passent devant moi, taquins, je vais danser avec eux. Tant pis.
Plus tard, dans mon dos, il me cherche, me dit-on. Je devrais me retourner, mais je ne peux pas. Oui, il est beau, et alors ? Je l'ai réalisé mon fantasme, il est venu à moi, que puis-je espérer de plus ? Cela ressemblera à d'autres histoires qui ressemblaient elles-mêmes à d'autres. Je souris encore, un peu plus tristement. Peut-être, la prochaine fois, dans cette même boîte, un autre échange, d'autres mots, et que tout recommencera, peut-être... Laissons le hasard faire, après tout, il nous a joliment réunis une fois...

5.
Je suis assis, plus tard, dans cette même boîte de nuit. Je raconte à J., un ami de P. que je viens de rencontrer, que j'ai été une fois dans ma vie le plus beau garçon d'une soirée, une seule fois. Je ne l'ai jamais vu avant, et pourtant j'ose, ce qui est rare, me montrer aussi directement prétentieux et égocentrique, c'est-à-dire comme je suis. Je lui précise toutefois que ce n'était pas bien difficile, parmi une dizaine d'homosexuels seulement, et vraiment peu gâtés - ouf, je réduis ma prétention. J'ajoute que c'était la soirée la plus désagréable de toute ma vie.
Quatre ans plus tôt... J'entre, un soupir de plaisir, général. Quelques garçons moulés dans des Tee-shirts - c'est l'été - et qui avaient fait du sport pour compenser l'absence de finesse de leur traits, lèvent les yeux vers moi. J'ai l'impression d'être nu et humide. Ils me demandent mon prénom, me disent que c'est un joli prénom, bref comme moi... et d'autres phrases subtiles comme celle-ci qui me donnent à peu près le choix entre deux attitudes : le silence ou la fuite. Je les choisis tour à tour, allant régulièrement me réfugier dans le grenier, et surprenant par hasard une crise de jalousie dont je suis très involontairement la cause. Un garçon pas trop mal, surtout parce qu'un peu plus intelligent que les autres, ayant réussi à faire la conversation plus de cinq minutes avec moi, son petit copain, jeune, lui faisait une petite crise. Je sors du grenier et je dois supporter le regard des autres, toujours affalés sur le canapé, et qui parcourent, la langue sortie de la bouche, mes jambes, ma braguette, mes fesses, mon T-shirt que je m'en veux de porter si moulant, c'est la dernière fois me dis-je. Je sens des taches apparaître sur mon corps et j'ai un goût bizarre dans la bouche. On m'adressera la parole encore, mais pour me dire quoi ? Je vois bien qu'on ne me parle pas à moi. On fixe mes lèvres - au mieux ; et on ne me demande que des choses banales. J'imagine alors quel supplice cela serait d'être ce beau garçon qu'on regarde toujours ainsi - c'est-à-dire sans le voir - et à qui on s'adresse toujours ainsi - c'est-à-dire sans lui parler. Et je ressens l'incroyable injustice de la beauté : que faire quand tout nous est dû, quand il n'y a plus rien à prouver, juste à être là, comme un pot de fleurs dans lequel on pourrait éjaculer à l'occasion ? Mais rien, il n'y a rien à faire ! Alors, pour la première fois de ma vie, je bénis mes parents d'avoir été si gourmands, d'avoir fait de moi un petit gros, je bénis Charlotte Brönté d'avoir écrit d'aussi longs romans qui m'ont rendu si myope, je bénis ceux qui m'ont adressé la parole avant que j'ôte mes lunettes, qui m'ont parlé comme à un être humain, qui ont voulu faire jaillir de sa coque quelque chose. Oui, juste quelque chose - plutôt que rien.

6.
Je repense au Tee-shirt blanc, à sa beauté. Peut-être ai-je juste eu peur de savoir, savoir ce qu'elle avait fait de lui, cette trop aveuglante beauté... Peut-être. Pour pouvoir y rêver encore. Mais de loin.
(Sur ce, il alla à la piscine.)

lundi 5 mars 2007

la fidélité


C'est une question que je me pose souvent.

Quand j’ai vu L. immédiatement après avoir passé la nuit avec celui que d’autres appelleraient mon homme, mon petit ami, mon fiancé, mon mari – Yann – j’ai su que je ne coucherai pas avec lui. Pas tout de suite, pas cet après-midi, et peut-être jamais. Il n’était pas comme je l’imaginais, ou alors si, trop comme je l’imaginais justement, à moins que ce ne soit cette voix qui m’avait déjà quelque peu rebuté au téléphone – car le charme d’une belle voix agit sur mon désir de façon souvent plus déterminante que des traits physiques avantageux ; après tout, Yann m’a conquis en chantant… L. ne m’a tout de même pas déplu, ce qui ouvre un possible pour plus tard, lorsqu’il me glissera quelque chose de triste et d’intime entre deux portes – chose à laquelle je ne résiste jamais non plus, d’où le surnom, que quelques amis, sans doute bien intentionnés, m’ont donné - de Mère Teresa du cul.

Cet après-midi là, tout semblait pouvoir être écrit sur le ciel blanc, pourtant je portais ma tristesse en étendard et, volubile, je jouais à la défier. L. n’a pas été dupe. Il m’écoutait patiemment, généreusement, tandis que moi, bassement, je profitais de son désir – ses « tu as de beaux yeux » et « j’aimerais t’embrasser » touchants de désuétude – pour remédier à l’absence d’oreille amicale que des départs précipités et le trop plein des vies parisiennes avaient creusée dans ma vie.
Nous avons refait le même trajet, celui que j’avais fait dix, vingt, trente fois avec d'autres, ces sempiternels bords de Seine qui semblent avoir été créés pour cela, les promenades amoureuses. Et pourtant, à chaque fois, comme dans la chanson de Barbara, c’est la première fois… Est sans doute pour beaucoup, dans cette impression persistante de nouveau voyage, mon pitoyable sens de l’orientation : le seul point commun est que je m’y perde toujours un peu…

Si j’avais conduit L. jusqu’à chez moi, il serait sans aucun doute entré dans la liste – la liste de mes amants. C’est un peu triste de faire des listes, diront certains. Je ne trouve pas. Ce n’est pas un carnet de prix, c’est un éloge pour se souvenir. L’Impératrice japonaise dont parle Chris Marker dans Sans soleil fait une liste « des choses qui font battre le cœur ». Ecrire un nom, c’est y graver un « je t’aime » et le relire sans cesse au présent… Y figurent les personnes amies ou amantes, les films, les livres, les musiques, tous ceux qui m'ont accompagné et changé. Il y a deux semaines, j’ai inscrit sur une page vierge le nom de mon quarante-huitième amant…


La fidélité ? Je me souviens d’une phrase qui avait résolu bien des questionnements à ce sujet, prononcée devant le Conservatoire du 9ème par une bonne connaissance, un bear marqué par son protestantisme et qui pratiquait néanmoins – justement ? – le SM, bref un garçon très sympathique mais qui, si quelqu’un avait eu l’idée un peu sotte de classer les garçons selon des critères bien choisis, aurait atterri à l’exact opposé de ma personne ; ce garçon, donc, avait dit : « On n’est pas fidèle dans l’absolu, on est fidèle à quelqu’un à un moment donné ». Il m’avait ainsi rendu ma fidélité perdue. Pour la journée, du moins. Parce que, bien sûr, j’aurais voulu être fidèle, l’idée me plaisait et me plaît toujours, ce sacrifice conscient - « Ce sera lui et plus aucun autre ». Dans les faits, ma fidélité n’aura tenu, avant d’être maintes fois forcée, qu’un an et demi.
Après tout, on ne demande pas aux fidèles de croire en Dieu toutes les minutes de tous les jours, juste de temps en temps, quand il faut ouvrir la bouche pour recevoir l’hostie, par exemple. Si la fidélité vient de la foi, alors oui, je l’avoue, j’aime le doute, cet état qui permet à tout moment de se mettre à croire follement, ou de tout perdre en un battement de cils…

Qu’y puis-je si j’aime échanger, faire l’amour, tomber amoureux, construire des amitiés ambiguës ? Je n’ai jamais été au sauna, je n’ai jamais couché dans une backroom, je n’ai jamais dépensé mon énergie sexuelle en allant chez quelqu’un – ou lui chez moi – après une conversation Internet. J’ai toujours aimé, d’une façon plus ou moins forte, plus ou moins tenace, plus ou moins – si j’ose dire – réfléchie, mais aimé, oui. Ces amours-là, parfois montées en passions, sont l’exact opposé de mon amour pour Yann. Je peux donc passer des bras de l’un au lit de l’autre avec une facilité déconcertante et sans une once de culpabilité. Beaucoup m’envient cette perversion. D’autres la fustigent. Moi-même, je serais bien en peine de savoir de quel côté penche la balance...
Aimer quelqu’un au quotidien, ce n’est pas tomber amoureux. Parfois, bien sûr, heureusement, je retombe amoureux de lui – un mot, un sourire, une attention, un regard… Mais ceux qui ne sont jamais restés longtemps avec quelqu’un (et bientôt six ans, c’est un certain temps) ne pourront pas comprendre ce que c’est que la force de l’habitude. C’est très ennuyeux à décrire, je ne connais pas d’œuvre qui ose en faire son sujet. Tous ces films, ces romans et ces poèmes ne donnent d’images de l’amour qu’instantané – c’est la fin et le début d’une histoire, c’est la passion et le sexe…
La peinture peut-être pourrait rendre cette (relative) absence de drame. Le sacré que tisse le temps se prêterait bien à la contemplation, à ce lien étrange, et qui nous dépasse. Il est assis là, à côté de moi et il ne me regarde pas, mais le moindre mouvement de mon corps trouve un écho dans le sien ; son soupir m’appartient si bien que ma bouche n’a pas besoin de s’entrouvrir pour se plaindre à son tour ; nos larmes coulent au même instant devant la même image ; parfois, nous disons des mots que nous seuls pouvons comprendre ; le matin, avant son réveil, je mets la musique qu’il voudrait entendre, avant même qu'il ne le veuille… Oui, il y a du sacré dans cette union-là. Et c’est peu dire qu’elle fait battre mon cœur.

samedi 3 mars 2007

le journal du séducteur


Il faut se soumettre au jugement. Et pour cela, il faut tout dire.

J'ai rencontré L. avec la nouvelle année. Rencontré ne serait pas le mot exact - oui soyons précis - je l'ai contacté par l'intermédiaire d'un site de chat homosexuel. Il m'a plu physiquement, un beau regard, un grand brun viril et doux à la fois. J'ai immédiatement voulu me faire aimer de lui. Comme il serait agréable et flatteur, de plaire à ce beau garçon, ai-je pensé. J'ai relu notre échange, régulier pendant deux mois. Si cela avait été prémédité, je n'aurais pas pu mieux faire. De message taquin en message charmeur, au gré des jours et des nuits, il a mordu, s'est laissé prendre à mes filets. Il y a un mois, il m'a demandé de lui écrire plus longuement, et par mail, pour sortir des cages où nous étions figés, limités. Savait-il que ce qu'il me demandait serait si facile pour moi, et causerait, peut-être, sa perte ? Je lui ai écrit cinq très longs mails, il en sait plus sur ma vie sentimentale que la plupart de mes connaissances de longue date. Je me suis amusé à tout lui dire, à ne rien cacher, et il a été séduit. Je n'ai pas eu besoin de lui mentir, je l'ai juste laissé se projeter, tomber, non, glisser vers moi... Depuis une semaine, il m'appelle "amour". Aujourd'hui, il a pris son téléphone, pour la première fois. Une heure après, il m'avait envoyé trois messages pour vanter la beauté de ma voix, l'ironie de mon ton, ma si douce timidité. Je ne peux m'empêcher de regarder la scène de loin, avec un sourire en coin. Est-ce un grand séducteur, comme ces plus de deux cent amants le laissent supposer ? Ou est-il vraiment en train de s'éprendre ? J'ai été si horriblement sincère à chacun de mes mails. Et je devinais, en les relisant déjà, quel effet aurait sur lui ce tourbillon. Mais voilà, je suis double, diable de la sincérité et dieu de l'artifice. Une auréole peut-elle tenir sur des cornes ? Suis-je monstrueux ? Que faire ? Le conduire dans ma couche et le posséder ? Ou l'exciter puis fuir en le laissant brûler d'un désir sans fin ?
Demain, je vais rencontrer L. pour la première fois.

vendredi 2 mars 2007

l'attente (introspection)



L'attente de quelque chose. Mais ne pas savoir de quoi. Un sentiment vague, non pas un sentiment, une sensation plutôt, tenace, mélancolique, profonde donc. D'une façon ou d'une autre, quelque chose va bientôt changer. Je le sens. Depuis quelque temps déjà, je ne suis plus moi-même, je me suis perdu quelque part et je n'ai rien trouvé d'autre, aucune autre image rassurante à mettre à la place de... Avant, il m'était si facile de me rêver. Je me pensais grand amoureux, on me disait gentil, je me croyais timide, je paraissais poli, facile, travailleur, j'étais un peu solitaire, j'étais droit, cette obsession à vouloir être juste... Aujourd'hui, j'ai beaucoup d'amis - mais souvent loin - je suis plus froid, mieux aiguisé - mais je pleure encore parfois, l'après-midi, seul, en écoutant de la musique triste - j'ai trouvé l'homme de ma vie - mais j'aime tellement brûler pour d'autres - je n'arrive plus à écrire - mais je commence ce blog - je ne veux plus plaire comme avant, à tout prix - mais j'ai toujours mes moments de faiblesse. Aujourd'hui, être quelque chose et l'inverse. Mes actes ont créé des chemins sinueux, de trop multiples chemins, alors je ne sais plus me nommer. C'est peut-être cela être adulte, accepter de ne plus correspondre à l'image de celui qu'on pensait être.
Pourtant, je me suis perdu, quelque part. L'image ne colle définitivement plus à la vitre. Revoir un film bien connu, attendre sa scène préférée avec une ferveur enfantine ; et qu'elle ne vienne jamais... Est-ce ma faute - me suis-je trompé de film ? Ou est-ce un plaisantin qui a, momentanément, et dans mon dos, trafiqué la donne, mal battu les cartes, changé les plans ?
Alors oui, comment savoir ? S'il y a une réponse, elle doit bien être quelque part. En moi peut-être...