lundi 12 mars 2007

la fuite, le désert


Rage, ô rage sans désespoir, me laisseras-tu enfin tranquille ?

Ce matin, j'ai été réveillé par le bruit des gouttes qui tombaient à côté de mon lit. La voisine, une blonde d'une cinquantaine d'années tout droit sortie d'un épisode de Desperate Housewives et dont les seules occupations semblent être - autant que mon oreille puisse en juger - jouer du piano, avoir un orgasme une fois par mois, mais très bruyant pour compenser, et prendre des bains, venait de se livrer à cette dernière activité - bain qu'elle avait laissé couler en prenant béatement son petit déjeuner. Elle m'ouvre en peignoir, sourit, se moque gentiment de moi - ça doit être mon infâme épi qui me donne l'air d'un collégien. Je pense très fort "S... de bourgeoise" qui ne passe malheureusement pas le cap des amygdales. Cela m'aurait fait du bien. Je meurs d'envie de mordre. Ce matin, je me suis réveillé dans un film de Tsai Ming-liang, et s'ils font partie des films que je préfère regarder, ils n'étaient pas de ceux que j'avais envie de vivre.

Fuir, fuir, fuir. Cet épisode dérisoire n'est que la goutte d'eau, hier déjà je voulais être partout ailleurs que là où j'étais. Une jeune femme, amie de Y., petite bourge qui n'a pas été aimée par sa mère - c'est ainsi qu'elle se présente, et sa lucidité est bien la seule chose que je ne puisse pas lui reprocher - nous a pris en otages, déblatérant sur ses malheurs pendant 2h30 sans interruption, sans poser une seule question et sans être le moins du monde gênée de parsemer son récit de larmes et de petits rires hystériques qui faisaient se retourner les clients du café parisien. Elle s'excusait tout de même de temps en temps, mais reprenait de plus belle, rythmée par les "Hum hum" si tolérants de Y. - qui aurait dû se faire payer la séance, mais c'est moi qui suis allé payer l'addition pour que l'on puisse partir plus vite.
Quel est le moment où j'ai changé ? Certes, j'ai toujours eu honte quand une amie faisait une scène dans un café, parlait trop fort dans le métro de sa vie sexuelle déprimante, ou se mettait à interpeller les gens dans la rue ; mais j'avais, comme je ne sais plus qui, quelqu'un de reconnaissant sans doute, m'a dit une fois, "une forte tolérance à la folie". Oui, je me souviens, j'étais l'être le plus compassionnel qui soit, je me noyais dans les paroles des autres, plongeais dans leur souffrance et essayais d'éponger ce qui pouvait l'être. Au bout de vingt minutes de son discours, j'ai voulu quitter la table, au bout d'une heure, quitter Y., et au bout de 2, quitter le monde... Oh oui, aller m'enfermer ailleurs, loin, très loin...

Ma maladie a un nom : la misanthropie. Il y a certains jours où je ne peux plus faire semblant - mordre, mordre, mordre. Pourtant, j'aime sincèrement les gens - quand je les aime. Mais depuis quelques semaines, les seules personnes qui ne m'agacent pas sont celles qui partent - à New York, se réfugier sur une île, peu importe, il faut partir, fuir ce Paris vicié. La violence des gens, la méchanceté gratuite, même l'odeur, me rendent mauvais. Et plus que tout j'ai envie de fuir ce moi haineux.
J'ai dit il y a quelques jours à JM : "Le bonheur, c'est l'indifférence." Mais combien l'intelligence de l'esprit est supérieure à celle des actes! La rage au ventre, j'en suis si loin encore, de mon bonheur. Je rêve d'un garçon qui m'arrête dans la rue et me dise : "Je pars à la campagne, me réfugier dans le vert, viens avec moi." Alors, je pourrais écrire, penser (panser ?), aimer...

J'ai avancé mon départ sur l'île de C*. Dans l'attente, ma seule consolation est littéraire : JM m'a offert la nouvelle édition des Lettera amorosa de René Char, et je me réfugie tous les soirs sur La Montagne magique de Thomas Mann - une lecture bien à propos.

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