mercredi 21 mars 2007

l'amour est plus froid que la mort


C'est avec une certaine distance que je regarde aujourd'hui ma vie.

Il y a quelques jours, j'ai fait tomber un dvd de ma bibliothèque, et j'ai lu : "C'est un film contre les sentiments, parce que je crois que les sentiments peuvent être source de manipulation et que les gens en abusent effectivement." (R.W. Fassbinder)

Comme souvent dans les moments de très grande honnêteté envers moi-même, j'ai été foudroyé. En un éclair, j'ai compris ce que JM m'avait dit, quelques mois plus tôt pourtant, et qui me semblait toujours un peu mystérieux. Tandis que je lui lisais ma réponse à un mail où une élève, qui a quasiment le double de mon âge, me demandait comment mener sa vie dans une situation qui lui était particulièrement pénible, l'hilarité nous avait gagnés tous les deux. J'avais répondu très poliment, et même chaleureusement, comme je sais faire, et nous étions en train de rire. JM m'a donc dit, non sans une certaine admiration dans la voix et une légère frayeur dans le regard : "Ce que tu peux être fassbindérien". J'étais sincère, et pourtant il y avait ce je ne sais quoi de distance qui était pire que de la méchanceté. Oui, en jouant sans cesse la carte des sentiments, j'asservissais les autres ; et moi-même par la même occasion. Moi qui avais toujours fustigé la froideur, je me trouvais soudain plus monstrueux que le plus glacé des coeurs.

Hier, dans le train, tandis que je regardais la neige tomber par le scope de la vitre, je pensais à cet amant que je venais de quitter. Il était seul, il m'aimait, il venait de me le dire du moins, et il m'aimait pour les meilleures raisons du monde. Pas comme ce garçon qui m'avait violé du regard dans cette boîte de nuit parisienne quelques jours plus tôt, et qui paraît-il (m'avait-on alors glissé à l'oreille) était une "star de la nuit parisienne". Non, lui était tombé amoureux lors d'une de mes conférences. En m'écoutant, et en me regardant sourire - c'est ce qu'il m'a avoué sans honte, hier. Il est plus âgé que moi et pourtant je ne suis que le troisième homme de sa vie - son troisième corps d'homme. Comme je lui avais décrit ma situation et ma nature avant même notre premier baiser, il ne peut m'en vouloir et veut, bien sûr, profiter de tous les instants que je lui offre... que je lui offre ! Habileté terrible qui, hier dans le train, m'a brûlé les entrailles. C'était moi, avant, celui qui aimait le plus, celui qui souffrait, et comme ma place était glorieuse comparée à celle que j'occupe à présent ! A cet instant dans le train, je me suis juré de ne plus avoir d'amants, de ne plus jouer avec les sentiments et d'atteindre une réserve, froideur aux yeux de certains sans doute, mais aux miens, sagesse durement conquise.

Loin des regards et des boîtes parisiennes (tiens, je vais manquer sans regret une soirée au Pulp), je prends un autre train, pour rejoindre enfin l'île de C*, quitter ce moi vicié, et renaître ailleurs. Dans cet autre train, mon nouvel ordinateur sous le bras, je parviens à dater le début de ma dépression au 1er février - jour du vol de mon précédent ordinateur. Cet enlèvement a été aussi celui d'une part non négligeable de mon intimité. Alors que je tape sur les touches vierges, le nouveau efface l'ancien, et ma légèreté d'antan rejaillit, en avance comme le printemps. Dans le train, C* est à côté de moi, virevolante et émerveillée, comme à son habitude. Je regarde sa force unique qui en effrayerait plus d'un, avec une bienveillance sans cesse renouvelée. Je lui sais gré d'être aussi généreuse, aussi belle, aussi certaine que nous allons passer ensemble des moments sublimes. Plus tard, dans le bateau qui tangue, alors que nous nous racontons n'importe quoi pour nous divertir mutuellement du mal de mer qui nous guette, je me dis que, tout de même, c'est beau l'amitié.

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