samedi 27 octobre 2007

trop de bonheur ?


Au beau milieu du vert de la Normandie, entouré d'inconnus internationaux, j'avais tout pour m'ennuyer. Et pourtant, j'ai recréé un paradis, une île. De là, cette question que je me pose parfois, à la fois vaine et essentielle : qu'est-ce que j'ai fait pour mériter tant de bonheur ? Heureusement pour moi, nulle justice, je ne devrai pas payer cette vie belle et inutile d'amour, de cinéma, de joie...

dimanche 21 octobre 2007

nouveau départ


C'est sans douleur particulière mais avec une légère appréhension que je pars deux semaines travailler en Normandie, dans un endroit visiblement reculé, où l'introspection sera mon seul voyage.

Les derniers jours ont été marqués par un regain d'amour marital. Cela faisait longtemps que tant d'amour ne nous avait pas traversés. Entre son absence et la mienne, une semaine ensemble à New York aura tenu lieu d'écrin à cette cristallisation magistrale. Notre légèreté commune aurait pu nous mener au bout du monde. Et en un sens, elle l'a fait. Silence pudique.

Je me souviens aussi du beau noir et blanc charbonneux de Control, expérience doublement étrange puisque film vu avec M. qui cache de moins en moins son amour hystérique pour moi. De temps en temps, il détournait son visage de l'écran pour me regarder de ses yeux fous. Sur l'écran, un homme (connu, mais peu importe) hésite entre deux femmes, l'une qui lui dit qu'elle l'aime, l'autre qu'elle a peur de tomber amoureuse, et la musique, comme sortie des profondeurs, de Joy Division. Il voulait peut-être me demander de choisir. Mais j'aime le noir parce qu'il y a le blanc et vice versa. Alors je lui ai souri, ému, à la fin du film. J'avais envie de lui donner toute ma tendresse, de boire sa folie, d'apaiser ses peurs, et puis je me suis retenu pour ne pas qu'il tombe encore plus... Je l'ai regardé partir silencieux sans savoir s'il me pardonnerait de lui avoir un peu trop donné, sans savoir si je le reverrai. Silence pudique.

vendredi 12 octobre 2007

le déversement


Hier, je suis retourné chez Moustache, un restaurant libanais dans lequel je dîne à chaque fois que je reviens à New York. Aujourd'hui, j'ai visité le Musée de Brooklyn pour constater que les Rodin avaient changé de place mais que je me souvenais très bien de la peinture européenne du troisième étage. Même le Met où je suis allé me perdre une journée entière mardi n'a plus de secret, je sais où se situe telle ridule ou telle veine sous l'oeil d'un Rembrandt, où se reflète telle lumière sur un Vermeer. Et puis j'ai marché, j'ai reparcouru Canal Street, j'ai remonté Christopher Street du Village à Chelsea, j'ai rejoué à errer sans but dans Central Park, j'ai repris parfois les mêmes photographies, celles qui sont devenues mes souvenirs, dans l'espoir de peut-être y dénicher, plus tard, après une comparaison approfondie, une infime différence. Non, New York n'a pas changé, et si l'émerveillement niais des premières fois s'est peu à peu et presque totalement absenté de mon regard je peux dire qu'à présent je l'aime d'un amour adulte. Je sens le sang battre dans ses artères, la chaleur de son cocon. Je m'y sens en sécurité, à la fois familier et étranger - donc doublement protégé.

Tout à l'heure, j'ai refait l'amour avec un ancien amant, un très ancien amant, un de mes tous premiers. La première fois que nous avons fait l'amour, c'était à Paris, il y a quatre ans, tout était gracieux et évident. Dans le peu de temps que nous avions, il a fallu brûler et je garde de cette après-midi de canicule un souvenir particulier. Ce n'est pas la première fois que j'éprouvais du plaisir, non, mais c'est la première fois que j'éprouvais un plaisir bien précis : celui des amours clandestines, un partage par le corps total et immédiat. Nous n'aurons que ça dans cette vie ? Et bien, soit, brûlons et aimons-nous. Voilà ce que disait l'union de nos deux corps. Plus tard, ses messages tendres, puis nos deux ou trois rendez-vous, clairsemés et pas toujours sexués, m'ont conforté dans l'idée que cette relation était spéciale. J'en ai sans doute connu beaucoup d'autres depuis, et des plus fortes, mais c'est lui qui m'a donné ce goût de l'infidélité joyeuse.

Quand je suis entré chez lui tout à l'heure, il a allumé la télévision comme d'autres auraient mis de la musique romantique. Sur l'écran, c'était un film pornographique des années 1970, un film mignon certes, mais cette clarté de son désir m'a immédiatement révulsé : il voulait coucher et avait libéré sa pause déjeuner de jeune homme d'affaires pour cela. Nous avions une heure, il fallait faire vite. J'ai senti cette première image sur l'écran comme un viol. Quand il est sorti des toilettes, il n'avait pas fermé sa ceinture, pour aller plus vite, me suis-je dit. Il y avait quelque chose de répugnant dans sa présence devant moi, ceinture pendante. Je me suis dit que j'allais partir, que j'allais dire non, et puis il m'a dit deux ou trois mots gentils qui m'ont rappelé celui que j'avais connu, celui-là même qui m'écrivait des mots tendres de temps en temps. Je l'ai laissé m'embrasser. Mal. Sa langue dure dans ma bouche. Ses lèvres trop molles. Le mouvement irrégulier. Je ne pensais qu'à la conversation que j'avais eu avec C* dans le train il y a quelques jours sur les bons amants : on le sait dès le baiser, s'il y a accord ou pas. Je me suis laissé guider sur le lit, prêt à me refuser à tout instant, en sachant bien que plus j'attendais, plus ce serait cruel. Et puis il avait la peau douce. Et puis il a utilisé une des armes contre lesquelles je ne peux rien faire. Et puis nous avons couché (et non fait l'amour, ce serait salir les autres qui m'ont vraiment aimés). Il a déplacé la porte de son placard de sorte que le miroir reflète le lit. Il avait dû étudier précisément la position du miroir, avec beaucoup d'autres, ai-je pensé. Il a sorti du gel, un énorme tube dont je n'ai pas voulu regarder la jauge. Et puis il m'a mis un préservatif. Il m'a fait entrer en lui. Vite, il m'a fait changer de position. Je le regardais, sous moi, et je voyais que son regard fuyait, non ne fuyait pas justement mais visait très précisément un point. J'ai tourné la tête, tout en le prenant plus violemment. Le miroir, bien sûr. C'étaient bien mes fesses qui se serraient et se desserraient, mes cuisses qui se raffermissaient, mes testicules qui se balançaient, et même mon sexe qui sortait, et pourtant ce n'était pas moi. C'était une image. Oui, à cet instant où je sentais pourtant la jouissance monter, je me suis dit très clairement, ceci est l'image d'un film pornographique, un pur équivalent de la première image qu'il a allumée quand nous sommes entrés chez lui. Plus tard, je lui ai reproché ce regard insistant, mais non ce n'était pas un reproche, je lui ai dit tristement. J'ai essayé de plaisanter avec celui que j'ai connu, que j'avais connu. Tu ne serais pas un peu Narcissique ? Il n'a pas compris. Il m'a dit que c'étaient mes fesses qu'il regardait et non pas lui-même. J'aurais pu lui répondre mille choses, mais je me suis tu. A cet instant, j'ai compris que je ne l'aimerais plus jamais, que quelque chose était mort. J'ai tout de même ajouté d'autres mots un peu tristes, qui comme tous les mots un peu tristes, se disent avec un sourire fin. Tu as changé. New York t'a rendu plus froid. Il était d'accord avec moi, il n'avait pas l'air de trouver ça très grave. Nous nous sommes séparés sous une pluie battante. J'ai marché encore, J'avais la nausée. Je me souviens qu'à cet instant je me suis juré que ça ne se reproduirait plus. Je m'étais laissé faire, pour voir, pour le passé, et c'était la dernière fois. A cet instant, j'ai aussi pensé à New York, et cette ville que j'avais toujours idéalisée, la seule où j'aurais voulu, en bon Parisien, vivre ; et j'étais content d'en être un peu exclus, de rester le touriste, l'étranger privilégié, celui qui a des amis ici, qui va et qui vient, mais qui repart toujours, parce qu'il sait que la vie, la vraie vie, est ailleurs, loin de ce tourbillon qui séduit infiniment pour mieux engloutir définitivement.

dimanche 7 octobre 2007

in a dark dark night


Je regarde l'étranger que je suis devenu avec une curiosité teintée de tristesse.

Il y a quelques jours, je recevais des roses qui venaient couronner six années d'amour partagé. Le même jour, je répondais avec ferveur au message tendre d'un jeune homme à qui je pense souvent et contre lequel j'aime me lover. Et puis au milieu de cette nuit enivrée, je m'arrête face à ce jeune réalisateur catalan qui travaille à Londres. Quelques échanges et puis je le regarde vraiment, dans les yeux - une lumière qui m'attire et me brûle en un clignement. Son visage est un poème de douceur, je l'imagine déjà jouer dans une adaptation de "L'Idiot" de Dostoievski, ce qui est un signe de mon enlisement avancé, je sens que je suis au bord des larmes, je ravale mes larmes, je l'écoute et bafouille en anglais, et puis j'écoute les phrases sortir de mon corps, tout ce que je n'aurais jamais cru pouvoir dire à un inconnu rencontré il y a une heure : "I want desperately to kiss you. If I don't kiss you right now, I'm going to die."

A quel moment ai-je basculé ? Basculé dans le monde de ceux qui osent ? Peut-être l'alcool et la langue étrangère me rendent-ils plus audacieux... Comment croire qu'il allait me dire oui ? Je ne sais pas ce qu'il a dit. Peut-etre qu'il a dit quelque chose, mais que je n'ai pas pu entendre - je regardais ses yeux. Il a peut-être ri, oui, c'est possible. Il a peut-être dit que j'étais fou, il l'a dit souvent après. Je me souviens qu'il est sorti du bar, il voulait que je le suive, il me le disait du bout des yeux, et moi je m'attachais à ce fil, celui qu'il me tendait dans la nuit. Là, loin du monde, je ne sais pas quand nos yeux se sont fermés, mais c'étaient ses lèvres que je sentais. Non je ne sentais rien. Je n'existais plus. J'étais la nuit, j'étais l'alcool, j'étais lui. Plus tard, lors de l'un de nos nombreux réveils, il me le dira : quand je te touche, c'est comme si tu étais une partie de mon corps. Avant cela, il y a eu l'amour sur le port, entre la mer et les étoiles. Comme nous étions fous. Nous n'aurions pas pu attendre l'hôtel. Marcher dans la nuit. Traverser un chantier, lui donner la main, dire n'importe quoi à 5 heures du matin. Et puis dormir avec lui sans dormir. Nous nous sommes séparés puis retrouvés pour mieux nous séparer à nouveau. C'était le jour, le monde autour. Il a fallu se dire adieu devant un cinéma. Il ne pouvait pas m'embrasser. Il me disait que j'étais si tendre, il touchait mon côté, il me regardait encore avec son demi sourire, celui-là même que je vois quand je pense à lui, et aussi quand je n'y pense pas. Et puis il a fait quelque chose de très gracieux, il m'a pris dans ses bras et il s'est dégagé très très lentement jusqu'à ce que nos mains se détachent comme celles de Dieu et d'Adam au centre du plafond de la Chapelle Sixtine. Et puis il a disparu dans la nuit du cinéma.

Je suis rentré à Paris. Heureusement, je n'étais pas seul, sinon j'aurais pleuré dans le train, et ce serait ridicule de pleurer dans un train. Je suis rentrée avec C* qui envie ma capacité d'amour, elle dit souvent qu'elle aimerait être pédé. Elle ne sait pas ce que c'est, les interstices, quand je suis seul dans mon lit, quand je ferme les yeux pour sentir encore ce corps qui sentait si doux, pour voir ce regard dont je n'ai pas percé le mystère ; elle ne sait pas ce que c'est que d'avoir un corps couvert d'invisibles tatouages, les marques des corps aimés, et quand la nuit, l'après-midi, mon corps crie, comme séparé, amputé d'un membre...

Alors, oui, parfois, j'aimerais être comme avant. Quand je ne savais pas faire, quand j'avais trop peur des gens pour aller vers eux, quand je ne savais pas donner et prendre aussi vite, quand je ne savais pas immédiatement reconnaître ceux qui me plairaient, ceux à qui je plairais vraiment, quand je pensais qu'aimer c'était aimer une seule personne... C'est sans doute le prix d'être si plein des autres, cette immense déchirure.