dimanche 7 octobre 2007

in a dark dark night


Je regarde l'étranger que je suis devenu avec une curiosité teintée de tristesse.

Il y a quelques jours, je recevais des roses qui venaient couronner six années d'amour partagé. Le même jour, je répondais avec ferveur au message tendre d'un jeune homme à qui je pense souvent et contre lequel j'aime me lover. Et puis au milieu de cette nuit enivrée, je m'arrête face à ce jeune réalisateur catalan qui travaille à Londres. Quelques échanges et puis je le regarde vraiment, dans les yeux - une lumière qui m'attire et me brûle en un clignement. Son visage est un poème de douceur, je l'imagine déjà jouer dans une adaptation de "L'Idiot" de Dostoievski, ce qui est un signe de mon enlisement avancé, je sens que je suis au bord des larmes, je ravale mes larmes, je l'écoute et bafouille en anglais, et puis j'écoute les phrases sortir de mon corps, tout ce que je n'aurais jamais cru pouvoir dire à un inconnu rencontré il y a une heure : "I want desperately to kiss you. If I don't kiss you right now, I'm going to die."

A quel moment ai-je basculé ? Basculé dans le monde de ceux qui osent ? Peut-être l'alcool et la langue étrangère me rendent-ils plus audacieux... Comment croire qu'il allait me dire oui ? Je ne sais pas ce qu'il a dit. Peut-etre qu'il a dit quelque chose, mais que je n'ai pas pu entendre - je regardais ses yeux. Il a peut-être ri, oui, c'est possible. Il a peut-être dit que j'étais fou, il l'a dit souvent après. Je me souviens qu'il est sorti du bar, il voulait que je le suive, il me le disait du bout des yeux, et moi je m'attachais à ce fil, celui qu'il me tendait dans la nuit. Là, loin du monde, je ne sais pas quand nos yeux se sont fermés, mais c'étaient ses lèvres que je sentais. Non je ne sentais rien. Je n'existais plus. J'étais la nuit, j'étais l'alcool, j'étais lui. Plus tard, lors de l'un de nos nombreux réveils, il me le dira : quand je te touche, c'est comme si tu étais une partie de mon corps. Avant cela, il y a eu l'amour sur le port, entre la mer et les étoiles. Comme nous étions fous. Nous n'aurions pas pu attendre l'hôtel. Marcher dans la nuit. Traverser un chantier, lui donner la main, dire n'importe quoi à 5 heures du matin. Et puis dormir avec lui sans dormir. Nous nous sommes séparés puis retrouvés pour mieux nous séparer à nouveau. C'était le jour, le monde autour. Il a fallu se dire adieu devant un cinéma. Il ne pouvait pas m'embrasser. Il me disait que j'étais si tendre, il touchait mon côté, il me regardait encore avec son demi sourire, celui-là même que je vois quand je pense à lui, et aussi quand je n'y pense pas. Et puis il a fait quelque chose de très gracieux, il m'a pris dans ses bras et il s'est dégagé très très lentement jusqu'à ce que nos mains se détachent comme celles de Dieu et d'Adam au centre du plafond de la Chapelle Sixtine. Et puis il a disparu dans la nuit du cinéma.

Je suis rentré à Paris. Heureusement, je n'étais pas seul, sinon j'aurais pleuré dans le train, et ce serait ridicule de pleurer dans un train. Je suis rentrée avec C* qui envie ma capacité d'amour, elle dit souvent qu'elle aimerait être pédé. Elle ne sait pas ce que c'est, les interstices, quand je suis seul dans mon lit, quand je ferme les yeux pour sentir encore ce corps qui sentait si doux, pour voir ce regard dont je n'ai pas percé le mystère ; elle ne sait pas ce que c'est que d'avoir un corps couvert d'invisibles tatouages, les marques des corps aimés, et quand la nuit, l'après-midi, mon corps crie, comme séparé, amputé d'un membre...

Alors, oui, parfois, j'aimerais être comme avant. Quand je ne savais pas faire, quand j'avais trop peur des gens pour aller vers eux, quand je ne savais pas donner et prendre aussi vite, quand je ne savais pas immédiatement reconnaître ceux qui me plairaient, ceux à qui je plairais vraiment, quand je pensais qu'aimer c'était aimer une seule personne... C'est sans doute le prix d'être si plein des autres, cette immense déchirure.

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