mercredi 20 février 2008

lettre à T. (nuit sans sommeil à Berlin)


Le bruit des roulettes de la valise sur le pavé parisien était triste ce matin-là, un lundi d'hiver ensoleillé pourtant. Il avait tellement de choses à faire, de travail à accomplir, alors il savait qu'il n'aurait plus le temps d'être triste plus tard. Sur le pavé, juste avant d'entrer dans son petit studio blanc du 18e arrondissement, il s'était donc abandonné à sa pensée nostalgique. Il pensait encore à Berlin et à ce garçon - à présent indissociables. T. lui avait dit qu'il valait mieux trop parler, plutôt que le silence. Il pourrait le prendre au mot et se laisser aller à l'impudeur. Mais non il ne chantera pas du Jacques Demy, il n'en gardera que la douceur quand les couleurs se fanent pour devenir décor enneigé. Il faut trouver la juste distance - la bonne proximité ? - alors il en fait un peu trop, en souriant peut-être, mais cela n'exclut pas la sincérité, n'est-ce pas ? Il sourit aussi de penser que cette histoire est arrivée mille fois à d'autres, à l'un, à l'autre, et qu'ils ne se connaissent pas tant que ça - c'est ce que, du moins, le garçon lui avait dit avant de passer, tout de même, une journée entière avec lui - une journée et une nuit dans son lit. Il se plaît à croire aux possibles, aux retrouvailles, aux éventuels prochains voyages de l'un ou de l'autre, il se complaît même déjà, à peine débarqué, à jeter un œil sur les billets d'un avion qui aujourd'hui encore les sépare mais qui dans une semaine, dix jours, un mois pourrait les réunir à nouveau - Paris et Berlin, lui et T. Et puis il se reprend, il trouve cela ridicule, et puis il se dit qu'il n'a pas peur du ridicule, alors oui pourquoi pas, et puis il se dit que... non, il ne se dit plus rien, il s'agace lui-même et retourne à son travail. Il n'a toujours pas dormi et porte les marques de la nuit d'avant, celle où lui, pas très sérieux, a suivi un autre garçon pas très sérieux...

Il trouve tout de même cela drôle que le garçon lui ait dit qu'il n'était pas fait pour l'écriture. Il a pensé lui dire qu'il pouvait lui faire un dessin ou pourquoi pas un haïku, que chacun trouverait son moyen de parler à l'autre et qu'ainsi ils se connaîtraient peut-être vraiment, un jour. Mais la porte du métro s'était déjà refermée. Il n'a rien dit. Alors il trouve cela drôle que de lui-même le garçon lui offre un haïku - et touchant aussi. Il ne veut rien promettre et ne rien faire promettre, mais il aimerait que le garçon soit là, le regarder et l'écouter encore. Il rêve d'une autre journée volée au temps, une journée où ils ne verraient pas la lumière, où il n'y aurait plus d'obscurité, juste la douceur d'une rencontre qui tout à coup aurait pu durer...

Il s'était levé à Paris ce mardi-là. Le soleil l'éblouissait par la fenêtre. Pourtant, il avait les pieds froids.

lundi 4 février 2008

les choses inutiles


Je prends un malin plaisir, après un travail long et difficile, à perdre du temps. Et puis qu'est-ce que c'est d'abord que perdre du temps ? Qui peut le savoir qu'un temps sera perdu ou gagné ? Alors, suivant ma morale - il n'y a rien à gagner ni à perdre - je me laisse guider par les événements.

Je vais voir tel film auquel je ne tiens pas vraiment parce qu'il passe à telle heure à tel endroit et que j'y suis, et je suis surpris de l'aimer. Je passe du temps avec tel garçon qui habite tout près de chez moi, et je suis surpris de pouvoir être aussi complice aussi rapidement. Je reste, ivre, devant la porte cochère près d'un bar pour séduire tel autre qui ne veut pas m'embrasser mais qui dit m'aimer déjà, et je suis surpris de l'aimer moi-même déjà un peu. Nous rejouons la même scène à l'infini. Etre au bord de s'embrasser, au bord de s'aimer, au bord d'un faire qui nous ferait basculer ailleurs, quelque part... Là, nous jouissons du nulle part : il n'y a pas de mots pour dire ce que nous sommes l'un pour l'autre. Il y a dans ces intentions dénudées de toute action une beauté particulière. Si seulement tout pouvait toujours rester beau et inutile.