jeudi 15 mars 2007

C'est drôle, de bien des choses dans ma vie, je peux dire "presque"


Je n'ai pas tellement pensé à lui depuis qu'il est parti loin et pour longtemps.

La rencontre eut lieu à la Cinémathèque lors de La Grande Parade - le premier King Vidor que je revoyais. Trois heures muettes côte à côte. Il faisait froid dans la salle et, déjà, je le trouvais beau, j'admirais l'incroyable douceur de son visage. Sa jeunesse était un leurre, et son goût des voyages aventureux l'avait forgé tel que je ne pouvais que trop bien le fantasmer - romanesque et fuyant. Il n'y avait pourtant, même lors de notre tendre face à face dans ce café ringard de Bercy, aucun jeu de séduction ; c'était le début d'une possible amitié dont je m'étonnais de l'absence d'ambiguïté. Lui aussi il s'étonnait, mais plutôt de trouver un petit Français féru de sa culture américaine - enfin quelqu'un ici qui connaisse Elliot Smith et Jon Brion, ai été au Largo, ai visité le Ghetti, et, petit miracle du hasard, ai traversé la rue de son enfance...

Il rêvait de voir Martha, il les avait presque tous vus, et plusieurs amis lui en avaient parlé. Évidemment, je l'avais chez moi - deux fois - et notre prochain rendez-vous était fixé. Je lui fis ce que je fais de mieux - un dîner de grand frère nourricier. Nous avons ri au film, bien mangé, beaucoup parlé. J'écoutais son accent tandis que l'heure tournait ; il allait manquer son métro, et je me disais que pour la première fois un garçon allait dormir ici, oui, j'allais l'inviter à dormir avec moi, et qu'il n'y aurait rien. Je souriais de cette pensée quand, sur le canapé-lit non encore déplié, pour la première fois, je vis dans ses yeux une lumière, mieux : une flamme. Il s'est approché de moi, et c'est naturellement que nos lèvres se sont jointes. Quand il est parti le lendemain, je connaissais son corps par coeur.

Il s'appelait Max, alors, bêtement, j'ai eu, très vite, l'envie de le baptiser "Max mon amour" - ah ! le pouvoir des signifiants. Plus tard, je lui expliquerai, pour prononcer cette formule une fois en sa présence, que, dans ce film, Charlotte Rampling couchait avec un singe. Nous en avons ri. C'est ce jour-là aussi qu'il m'avouera que son coeur ne lui appartenait plus, qu'il y avait eu quelqu'un d'autre avant, et qu'il ne pouvait pas encore. Fulgurance - je reste silencieux et comprends sa pudeur, ses silences. Je comprends aussi que les belles rencontres ont parfois lieu trop tôt ou trop tard, et que l'illusion du doux heurt des corps ne compense l'asynchronisme des sentiments que de façon très éphémère. J'ai envie de lui dire que cela m'est égal, que je n'attends rien, juste lui voler quelques instants encore avant son départ, que voir des grands films ensemble c'était pour moi tout ce qui comptait... Mais on ne peut pas dire à quelqu'un qu'on a envie d'être son ami, ce serait ridicule. Ma soudaine réserve a dû lui sembler de la froideur, une indifférence blessée peut-être. Pourtant, dans ma tête, je murmurais une dernière fois "Max mon amour"... C'est "L.A. Boy" qui est sorti de ces lèvres qu'il avait embrassées quelques semaines plus tôt. Ce n'était d'ailleurs pas un mensonge : c'est bien du souvenir de L.A. que je m'étais entiché. Alors, dans un sourire ironique, je lui dis que je suis content, qu'il se souviendra de moi comme du "garçon de La Grande Parade et de Martha", que cela me flatte infiniment. J'en fais un peu trop, et cela l'amuse.

Samedi dernier, je retourne à la Cinémathèque pour voir les derniers films projetés de King Vidor. Je suis à côté d'une jeune femme, une amie. Il fait très chaud dans la salle.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Interesting to know.