lundi 5 mars 2007

la fidélité


C'est une question que je me pose souvent.

Quand j’ai vu L. immédiatement après avoir passé la nuit avec celui que d’autres appelleraient mon homme, mon petit ami, mon fiancé, mon mari – Yann – j’ai su que je ne coucherai pas avec lui. Pas tout de suite, pas cet après-midi, et peut-être jamais. Il n’était pas comme je l’imaginais, ou alors si, trop comme je l’imaginais justement, à moins que ce ne soit cette voix qui m’avait déjà quelque peu rebuté au téléphone – car le charme d’une belle voix agit sur mon désir de façon souvent plus déterminante que des traits physiques avantageux ; après tout, Yann m’a conquis en chantant… L. ne m’a tout de même pas déplu, ce qui ouvre un possible pour plus tard, lorsqu’il me glissera quelque chose de triste et d’intime entre deux portes – chose à laquelle je ne résiste jamais non plus, d’où le surnom, que quelques amis, sans doute bien intentionnés, m’ont donné - de Mère Teresa du cul.

Cet après-midi là, tout semblait pouvoir être écrit sur le ciel blanc, pourtant je portais ma tristesse en étendard et, volubile, je jouais à la défier. L. n’a pas été dupe. Il m’écoutait patiemment, généreusement, tandis que moi, bassement, je profitais de son désir – ses « tu as de beaux yeux » et « j’aimerais t’embrasser » touchants de désuétude – pour remédier à l’absence d’oreille amicale que des départs précipités et le trop plein des vies parisiennes avaient creusée dans ma vie.
Nous avons refait le même trajet, celui que j’avais fait dix, vingt, trente fois avec d'autres, ces sempiternels bords de Seine qui semblent avoir été créés pour cela, les promenades amoureuses. Et pourtant, à chaque fois, comme dans la chanson de Barbara, c’est la première fois… Est sans doute pour beaucoup, dans cette impression persistante de nouveau voyage, mon pitoyable sens de l’orientation : le seul point commun est que je m’y perde toujours un peu…

Si j’avais conduit L. jusqu’à chez moi, il serait sans aucun doute entré dans la liste – la liste de mes amants. C’est un peu triste de faire des listes, diront certains. Je ne trouve pas. Ce n’est pas un carnet de prix, c’est un éloge pour se souvenir. L’Impératrice japonaise dont parle Chris Marker dans Sans soleil fait une liste « des choses qui font battre le cœur ». Ecrire un nom, c’est y graver un « je t’aime » et le relire sans cesse au présent… Y figurent les personnes amies ou amantes, les films, les livres, les musiques, tous ceux qui m'ont accompagné et changé. Il y a deux semaines, j’ai inscrit sur une page vierge le nom de mon quarante-huitième amant…


La fidélité ? Je me souviens d’une phrase qui avait résolu bien des questionnements à ce sujet, prononcée devant le Conservatoire du 9ème par une bonne connaissance, un bear marqué par son protestantisme et qui pratiquait néanmoins – justement ? – le SM, bref un garçon très sympathique mais qui, si quelqu’un avait eu l’idée un peu sotte de classer les garçons selon des critères bien choisis, aurait atterri à l’exact opposé de ma personne ; ce garçon, donc, avait dit : « On n’est pas fidèle dans l’absolu, on est fidèle à quelqu’un à un moment donné ». Il m’avait ainsi rendu ma fidélité perdue. Pour la journée, du moins. Parce que, bien sûr, j’aurais voulu être fidèle, l’idée me plaisait et me plaît toujours, ce sacrifice conscient - « Ce sera lui et plus aucun autre ». Dans les faits, ma fidélité n’aura tenu, avant d’être maintes fois forcée, qu’un an et demi.
Après tout, on ne demande pas aux fidèles de croire en Dieu toutes les minutes de tous les jours, juste de temps en temps, quand il faut ouvrir la bouche pour recevoir l’hostie, par exemple. Si la fidélité vient de la foi, alors oui, je l’avoue, j’aime le doute, cet état qui permet à tout moment de se mettre à croire follement, ou de tout perdre en un battement de cils…

Qu’y puis-je si j’aime échanger, faire l’amour, tomber amoureux, construire des amitiés ambiguës ? Je n’ai jamais été au sauna, je n’ai jamais couché dans une backroom, je n’ai jamais dépensé mon énergie sexuelle en allant chez quelqu’un – ou lui chez moi – après une conversation Internet. J’ai toujours aimé, d’une façon plus ou moins forte, plus ou moins tenace, plus ou moins – si j’ose dire – réfléchie, mais aimé, oui. Ces amours-là, parfois montées en passions, sont l’exact opposé de mon amour pour Yann. Je peux donc passer des bras de l’un au lit de l’autre avec une facilité déconcertante et sans une once de culpabilité. Beaucoup m’envient cette perversion. D’autres la fustigent. Moi-même, je serais bien en peine de savoir de quel côté penche la balance...
Aimer quelqu’un au quotidien, ce n’est pas tomber amoureux. Parfois, bien sûr, heureusement, je retombe amoureux de lui – un mot, un sourire, une attention, un regard… Mais ceux qui ne sont jamais restés longtemps avec quelqu’un (et bientôt six ans, c’est un certain temps) ne pourront pas comprendre ce que c’est que la force de l’habitude. C’est très ennuyeux à décrire, je ne connais pas d’œuvre qui ose en faire son sujet. Tous ces films, ces romans et ces poèmes ne donnent d’images de l’amour qu’instantané – c’est la fin et le début d’une histoire, c’est la passion et le sexe…
La peinture peut-être pourrait rendre cette (relative) absence de drame. Le sacré que tisse le temps se prêterait bien à la contemplation, à ce lien étrange, et qui nous dépasse. Il est assis là, à côté de moi et il ne me regarde pas, mais le moindre mouvement de mon corps trouve un écho dans le sien ; son soupir m’appartient si bien que ma bouche n’a pas besoin de s’entrouvrir pour se plaindre à son tour ; nos larmes coulent au même instant devant la même image ; parfois, nous disons des mots que nous seuls pouvons comprendre ; le matin, avant son réveil, je mets la musique qu’il voudrait entendre, avant même qu'il ne le veuille… Oui, il y a du sacré dans cette union-là. Et c’est peu dire qu’elle fait battre mon cœur.

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