lundi 6 août 2007

il n'y a d'amour généreux que celui qui se sait en même temps passager et singulier


1. Sur une plage italienne, fin d'après-midi.
L'eau est incroyablement transparente, je le regarde. Il le sait, comme je sais aussi qu'il me regarde. Il se tourne vers l'horizon puis vers moi puis vers l'horizon... Plus tard, il passera devant moi, s'arrêtera un peu loin. Il n'est pas le seul à changer ainsi de place ; c'est une danse, les garçons font les paons sur la plage. Inédit aux yeux voraces, j'attire les regards comme un petit rongeur au milieu des vautours.IIs passent et repassent, s'arrêtent, jouent les indifférents, fixent au loin. Lui n'est pas comme les autres. Quand j'ai repris la route ce soir-là , juste après le coucher du soleil, en montant dans sa voiture, il s'est tourné vers moi et a esquissé un signe, comme un adieu pudique et impossible. Cette nuit-là , je repenserai en me tournant dans un sommeil qui tardera à venir aux garçons de la plage, le regard avide, dressés comme des mâts au beau milieu du sable et des roches, je repenserai à lui surtout - le parfum du regret. Alors quand le lendemain, je me trouve à nouveau sur cette plage, presque par hasard, et qu'il est là, je le contemple avec plus d'insistance. Il n'est sans doute pas le plus beau de la plage, mais il me plaît infiniment. Une heure passe, je nage, l'eau toujours aussi claire, le soleil toujours aussi fort. Il repasse. Mon coeur bat très fort. Il avance devant moi, à deux mètres et je sais que c'est une illusion mais j'ai l'impression qu'il passe très très lentement. Je pourrais sentir son odeur, puisque le vent est favorable. Il s'assoit un peu plus loin. Après moult tergiversations, je me décide, pour la première fois de ma vie, à faire le premier pas. Ce doit être l'esprit des vacances, la légèreté d'être à l'étranger, croire que tout est possible.

Nous parlons longtemps, debout sur la plage. Nous dessinons des pas de danse, danse qui cette fois-ci se joue à deux. Les autres doivent nous regarder, spectateurs d'un moment volé, mais nous n'y pensons pas, nous sommes trop occupés à nous regarder, à nous écouter. Il remarque mon coup de soleil, répond à mes sourires, tente quelques compliments mais ce sont ses yeux le plus beau des compliments. Je pourrais vivre l'éternité sous ce regard tendre et généreux. Celui de Y. non loin de là s'est éteint : il ne me regarde plus avec l'amour qui nous a bercés pendant six ans. Ne pas penser au puits sans fond de souffrances qu'est cette rupture qui approche et lever les yeux vers l'amour qui naît sur les cendres encore brûlantes... Le soleil se couche à nouveau tandis que nos corps offerts aux derniers rayons se tournent autour sans se toucher. Il a l'air doux, incroyablement doux. Nous prenons rendez-vous pour dîner une heure plus tard et passons une étrange soirée - Y est là, et parce que cet amour est transparent je ne prends pas la peine de le lui cacher, pour la première fois je lui donne l'éclosion de mon amour en spectacle.

2. Les rues de la ville, la nuit.
Se donner la main sous la table. Se frôler en marchant côte à côte. S'arrêter soudainement, et s'embrasser dans une ruelle déserte. Voilà ce que nous faisons. Nous nous nous découvrons comme deux adolescents, et tout a le goût des premières fois. Nous baissons les armes, ou plutôt lui car moi je ne suis jamais armé dans ces moments-là - inconscient, je n'ai peur de rien et veux bien tout donner, tout prendre et tout perdre. Je sens le moment exact de sa chute, celui où il tombe amoureux. Je jouis de ce moment sans cynisme car moi aussi à cet instant je suis touché par sa présence et je sens que nous vivons un moment unique. Un moment...

3. Car il faut partir.
Le dernier soir, nous cherchons un endroit où nous aimer pour la première fois (la seule?). La chambre d'hôtel est exclue - Y. y est à ne plus m'attendre, déçu par mon égoïsme. Et mon Italien habite si loin... Alors il m'emmène près du phare, nous trouvons des vestiges de la guerre et nous nous embrassons, oubliant le temps qui passe, l'Histoire étouffée sous nos baisers, les regards d'autres garçons qui se font de plus en plus insistants. Car nous sommes sur un lieu de drague. Ironie, c'est le seul endroit où nous pouvons nous toucher. Mais déjà, je remarque un garçon qui se cache pour nous épier et je l'imagine en train de nous souiller. Nous partons et nous nous arrêtons sur un chemin rocailleux, perdu. Dans sa voiture, nous nous déshabillons pour la première fois. Côte à côte, nous nous caressons. Je touche cette peau si désirée, si brune et si douce. L'étreinte. Je finis par jouir sans même me toucher. Je trace un Pollock sur son torse. J'étale en espérant qu'il garde mon odeur longtemps. La nuit est tombée derrière nous. Nous nous embrassons encore.

L'horloge me rappelle cruellement qu'il faut partir. Et c'est le lieu même de notre amour qui est le véhicule de notre séparation. Sur la route du retour, nous nous taisons. J'essaie quelques paroles réconfortantes, il me réplique qu'il est plus vieux que moi, que je suis Don Giovanni, un méchant, qu'il faut que je revienne et qu'il sait que je ne le ferais pas. Il me dit tout ça en riant, alors moi aussi je ris, je lui dis qu'il exagère, explore quelques théories sur l'amour et la rencontre. Je le sens rageur, au bord d'exploser. Il ne me dit plus que des phrases simples et définitives : il me veut pour lui seul, me demande une exclusivité pour au moins 20 ou 30 ans, je lui dis que ce n'est pas possible, que s'il m'aime un peu il doit aussi aimer ma liberté. Puis silence. Je sais bien qu'il a raison. Je me tourne vers lui qui conduit toujours, inexorablement vers notre séparation. Il a du mal à cacher sa tristesse. Il regarde l'heure, plus que 5 minutes, il est au bord de pleurer. C'est très beau un garçon qui se retient de pleurer. Toutes mes paroles seraient indécentes, alors je regarde par la fenêtre cette mer qui n'en finit pas d'être bleue. Je suis fatigué, je suis toujours plus sensible quand je suis fatigué. Je ne vais pas me mettre à pleurer, quand même, ce serait ridicule. Quand la voiture s'arrêtera quelques minutes plus tard, nous aurons à peine échangé quelques mots de plus. Nous nous regarderons, un vrai, un long regard, et je partirai en emportant les kleenex qui ont servi à nettoyer notre méfait.

4. Cette nuit-là quand je rentre auprès de Y, je ne me sens pas très bien. Je ne me sens pas coupable de l'avoir trompé une fois de plus, non, je me sens d'un égoïsme dévorant. Avoir laissé Y seul, qui savait très bien ce qui était en train de se passer. Avoir aimé, fugitivement, J., avoir construit cette si belle fiction alors que lui est rentré avec sa tristesse et sa solitude. Je me rêvais en ange qui apporte l'amour, et je ne suis qu'un voleur, un petit malfrat, un médiocre qui laisse tomber les garçons comme des quilles sur son passage, tout en les maintenant dans l'espoir d'un grand amour. Et pourtant je suis sincère, terriblement sincère. Tandis que J. m'écrit pour me dire sa souffrance, je me dis que je vais éviter les garçons pendant un moment. Et pour me consoler, je relis le passage du Mythe de Sisyphe sur Don Juan :

"Nous n’appelons amour ce qui nous lie à certains êtres que par référence à une façon de voir collective et dont les livres et les légendes sont responsables. Mais de l’amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d’intelligence qui me lie à tel être. Ce composé n’est pas le même pour tel autre. Je n’ai pas le droit de recouvrir toutes ces expériences du même nom. Cela dispense de les mener des mêmes gestes. L’homme absurde multiplie encore ici ce qu’il peut unifier. Ainsi découvre-t-il une nouvelle façon d’être qui le libère au moins autant qu’elle libère ceux qui l’approchent. Il n’y a d’amour généreux que celui qui se sait en même temps passager et singulier. Ce sont toutes ces morts et toutes ces renaissances qui font pour Don Juan la gerbe de sa vie. C’est la façon qu’il a de donner et de faire vivre. Je laisse à juger si l’on peut parler d’égoïsme."

5. De retour, dans l'avion.
Aujourd'hui, peut-être est-ce la tristesse et la fatigue du retour mais je me sens si loin de toutes les justifications théoriques que j'ai depuis quelques années pris tant d'énergie et de plaisir à élaborer. Car que sont les idées face à la souffrance d'un garçon ?

6. Il pleut sur Paris, et je me suis fait prendre à mon propre jeu. Je repense au regard de J., à ces moments volés, qui sont les seuls que je sais vivre, et je lui écris. Je lui dis qu'il m'a donné de la force et que je voudrais lui en avoir donné aussi, ne pas être qu'une source de tristesse... Quelques minutes après, j'ai sa réponse :

"Tu m'as donné de la joie, beaucoup de joie. Même si je souffre, je suis content, content de souffrir justement... parce que je ne pensais plus que c'était possible. J'étais devenu un glaçon, je pensais être froid et détaché. J'ai bien vu avec toi que ce n'était pas vrai..."

En cet instant, ses paroles me donnent l'impression de ne pas m'être trompé sur tout. Je suis incroyablement joyeux et triste à la fois. Ce n'est pas l'état le plus agréable mais c'est ainsi que j'affronte l'absurdité du monde et de ma vie. Oui, j'existe.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une fois de plus... mais vous allez finir par vous lasser de mes compliments... donc je résume : bouleversant et juste. Et comme vous, à vous lire, je suis partagé entre joie et tristesse tellement vous rendez avec acuité ce que cette rencontre vous a donné.
Alors, que vous souhaiter ?

love streams a dit…

Mais non, vos compliments me font toujours plaisir. Ils sont la preuve que quelqu'un me lit et me comprend. C'est pour cela que je tiens à cet espace de liberté, où je peux être vraiment moi-même sans les séductions castratrices du monde extérieur. Ici, je me sens en dehors de tout jugement.
Pour répondre à votre question rhétorique, que me souhaiter, je ne le sais pas moi-même, mais je pense que le mois d'août à Paris sera solitaire et mélancolique...

farf a dit…

Je viens de relire cela et j’en reste encore muet tant j’y retrouve mot pour mot tout ce qui bout en moi.
Pardonnez-moi ce retour au passé mais j’avais besoin, moi, d’y revenir un instant.