mercredi 19 septembre 2007

les jours et les nuits (de berlin)


Je n'ai pas écrit. J'aurais pu, mais une fois n'est pas coutume, je les ai vécues, mes petites fictions. Je me suis laissé glisser le long du réel, et au fil des rencontres j'ai plongé dans le fleuve de l'oubli. Non, aujourd'hui, je ne me souviens plus de la continuité des choses, de pourquoi j'ai fait ceci ou cela. Il ne me reste que des bribes... Berlin, d'abord, oui Berlin...

A peine descendu de l'avion avec P., me voici dans les bras de Hendrik qui nous loge. Il est gentiment venu nous chercher, et son excès d'amabilité prend une tournure bien physique : il nous serre contre lui, P. d'un côté, moi de l'autre. Etonné, je regarde le visage de P., qui ne déteste rien tant que ce genre d'effusion (il peine déjà à faire la bise), et je remarque qu'il se contient sans rien dire, un peu dépassé sans doute par les événements. Hendrik ne quittera pas son rôle de (trop) bon guide, P. celui d'invité oppressé qui reste poli. Ah, ces Allemands, ça commence bien... Ce soir-là, nous irons dans un bar qui réussit le miracle d'avoir des garçons beaux et intelligents, puis nous passerons dans une alcôve entièrement recouverte de fourure rouge et de miroirs baroques. C'est dans cet endroit pour le moins décalé qu'un (très) beau Turc me regarde avec insistance. Il ne parle ni français, ni anglais, et envoie une amie pour me séduire. Quelques minutes plus tard, il me fait asseoir sur ses genoux (qui me paraissent immenses) tout en me répétant qu'il est hétéro et que je suis très mignon. Plus rien ne me surprend, ma volonté est déjà noyée dans les volutes de l'alcool. Plus tard encore, il me fera toucher ses muscles, sa poitrine. Et quand mon regard un peu intéressé lui montrera ma gentillesse, il fera quelques pas en arrière : je me méprends, dit la traductrice. Il a le physique d'un rugbyman et le visage gracieux d'un danseur. Il ne connaît qu'un seul mot en anglais : bodyguard. C'est son métier. Comme je ne crois pas sérieusement qu'il se passera quelque chose - et le voudrais-je seulement ? - je joue son jeu. Il nous suit, Hendrik, P. et moi, dans un autre bar, loin du Kreuzberg où nous nous sommes réfugiés depuis plusieurs heures déjà. Nous nous arrêtons à l'Alexanderplatz dont j'avais tant rêvé. L'extrémité de la tour est plongée dans la brume, et a une beauté que je ne lui reverrais plus de jour. Dans les sous-sols d'une boîte, le Turc fait mine de partir furieux... Je ne l'ai pas touché, je lui ai juste montré le babyfoot dans la pièce d'à côté. Il a dû croire que je l'entraînais dans un coin sombre. Curieusement, je suis déçu, ou non, moi-même peut-être furieux que ce type refoulé joue avec moi, et ce malgré lui, par pure bêtise... Au moment où il disparaît dans l'escalier en colimaçon, un garçon entre, me regarde, mime le geste que je fais, un geste de tragédien, la main sur le front, il commence, quelques mots en Allemand auxquels je ne comprends rien, puis en anglais. Comme il est agréable de comprendre, de séduire et d'être séduit par les mots. Son regard est franc, ses mots troubles - il me désire, le sait, le veut. Il ne tarde pas à me proposer un verre. J'ai déjà trop bu. I'm drunk enought. Enought for what ? To die, to live, to cry, to kiss... Il m'embrasse. Je sens son corps frémir, son dos ferme, ses baisers fougueux. Le temps s'arrête. L'éternité du premier baiser qui n'en finit pas de recommencer. De la lumière près de la porte, les autres me regardent avec ironie (Hendrik avait prévu mon succès et m'avait encouragé à garder mon petit polo noir). Ils veulent partir. Que faire ? Quand il est entré, à cet instant précis du temps, n'importe quel garçon, un tant soit peu bavard et sensuel, aurait pu me séduire. J'attends donc une nécessité, un signe. Je lui dis que je dois partir, il me dit de venir chez lui. Je lui dis que je n'ai que quatre jours, quatre jours c'est trop peu pour un amour comme le nôtre. Il sourit, il me dit qu'il essayerait bien. Je prends conseil auprès de P., génial paranoïaque hypocondriaque, qui me lance : il est en phase terminale de sida. Il en fallait moins pour me refroidir. Je n'en suis pas du tout sûr, mais bon, puisque j'attendais un signe, je dis adieu à mon amant allemand qui ne le sera jamais vraiment. Dans ces mêmes escaliers en colimaçon où mon Turc a disparu tout à l'heure, nous échangeons un dernier baiser. Comme le dernier est proche du premier, et pourtant si différent. Il me tient par la main, me retient, de multiples baisers. Et puis, je m'échappe, je sors sur la place, à la lumière des lampadaires. P., horrifié, s'approche de moi : il a vu le visage du bien aimé et s'excuse ("Il est très bonne santé celui-là, je l'ai confondu avec un autre..."). Je souris de sa méprise. Je pourrais redescendre, mais je voulais m'échapper, voilà qui est fait. Peut-être avais-je juste besoin de sentir cette légèreté qui ne peut exister qu'à l'étranger, quand on devient autre en recommençant tout à zéro - un baiser, oui, rien qu'un baiser.

Les autres soirées berlinoises ressembleront peu ou prou à celle-ci. Danse et alcool (ah, ce bide de bière que j'ai mis deux semaines à perdre!), garçons et légèreté. Le Commandant Hendrik s'avérera capable d'une sentimentalité insoupçonnée (il écoute le Tristan et Iseult de Wagner, comme moi, et m'abreuve encore de mots doux, à distance). De jour, je me laisserai guider par Marion dans les rues de Mitte ou sur la "casting allée", j'irai me perdre dans la contemplation des Caravage et des Veermer, je profiterai du soleil des parcs...

Et puis, ce bonheur, si dense, s'achève. Nous rentrons tristement, avec P., en sachant bien que nous ne passerons pas de vacances aussi folles avant longtemps, très longtemps. Oui, de vrais vacances : quand l'esprit marche plus vite, ailleurs, autrement, quand on peut se perdre au coin d'une rue et se retrouver la seconde d'après en s'arrêtant pour contempler le vestige d'un mur trop symbolique, une architecture jamais vue, un ciel chargé de mélancolie.

Quand je suis rentré ce lundi-là, j'ai ouvert un livre d'allemand. Il était temps que je commence une vie nouvelle.

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