lundi 19 novembre 2007

l'homosexualité n'est pas toujours un sport de combat


Il m'arrive si souvent d'avoir l'impression d'être à la fois acteur et spectateur. Comme dans un rêve en somme, sauf que c'est ma vie et que je me vois d'en haut - exactement comme Tim Roth dédoublé dans le nouveau film de Coppola (Youth without youth)... Je vis des expériences que je qualifierai de sociologiques avec une distance étrange. Je me suis toujours senti loin d'une certaine idée militante de l'homosexualité, parce que chaque pierre sur le chemin a été recouverte de mousse, rendue trop glissante, oubliable, friable, pour que je puisse un instant me sentir un homosexuel parmi une entité plutôt que moi-même vivant une expérience émotionnelle.

La première expérience où j'ai eu néanmoins l'impression de gagner mes gallons dans une sociologie de l'homosexualité, c'est ma première nuit d'amour. Ce fut un rendez-vous manqué avec la sociologie, pas avec l'amour. On dit souvent que la première fois lance la vie sentimentale sur des rails, et qu'elle identifie ce que sera majoritairement la façon d'aimer de quelqu'un. Le garçon en question, 19 ans comme moi, était mon meilleur ami, mon premier amour et j'étais son premier amour, son meilleur ami. Au réveil, timoré, il me dit : "Cela ne veut pas dire que nous sommes homosexuels". Dans ma tête, je riais, j'étais si heureux, et je lui ai répondu fièrement : "Parle pour toi". Cette joie de l'amour et du sexe ne m'a pas quitté et m'a ôté toute culpabilité.

La seconde expérience sociologique ne fut pas davantage un drame. Ce fut mon "coming-out" à mon petit frère. Il y avait quelque chose de violent dans l'idée de lui dire que son grand frère, celui qu'il chérissait, était homosexuel. J'ai donc attendu, par peur sans doute, par pudeur aussi, qu'il ait une copine, qu'il ait 18 ans, qu'il soit libre. Début juillet, nous deux seuls au milieu d'une plage grise, face à la mer infinie... Je me suis vu assez nettement me regarder vivre cette scène, d'en haut encore, et avec une certaine jubilation : vas-y, fais-le, dis-lui, me disais-je à moi-même... Et je souriais en me disant : Tu es en train de vivre une vraie expérience sociologique, un truc qui a un nom, une couleur, une dramaturgie - le coming-out. Sauf que non, il n'y avait pas vraiment de dramaturgie, juste un coup d'épée dans l'eau : il s'en doutait, et s'en foutait. Il a dû être tout de même flatté d'avoir la primeur de la révélation - qui prit donc plutôt l'apparence d'une non-révélation.

La troisième expérience date d'il y a une semaine. Là encore, je me suis détaché de moi-même et me suis vu petit, comme parmi une masse en train de vivre "l'Expérience". Ce fut le coming-out aux parents. Il y 11 ans, lors des dernières vacances avec ma famille, ma mère a lâché une phrase qui m'a hanté des nuits entières : "Il n'y a rien de pire que d'avoir un fils prêtre à part avoir un fils homosexuel". J'étais encore peu sûr de moi (et vierge) alors, mais cette phrase me glaça le sang et me fit toujours redouté l'instant fatal où il faudrait : dire. J'ai joui pendant près de 10 ans d'une sorte de double vie qui me convenait un peu trop bien. Jusqu'à ce dimanche, réunion familiale oblige, où ma mère m'a enfermé dans sa chambre pour se rapprocher tout près et me dire : "J'ai dit une phrase horrible il y a quelques années (et de me citer la fameuse phrase), je l'ai immédiatement regrettée, ton père m'a même engueulé plus tard, et c'est peut-être cette phrase qui t'empêche aujourd'hui de faire ton coming-out". Ce mot m'écorcha les oreilles. Venir de sa bouche, de la bouche de ma propre mère, ma mère adorée et haïe. C'était au fond l'invitation que j'attendais depuis des années. Je ne me fis pas prier. Le moi sociologue qui me regardait d'en haut était en train de ricaner de l'ironie de la situation : de coming-out, il n'y en eut pas, il me fut, une fois encore, volé... Même pas une larme, tout juste un discret mouvement de bras de mon père sur mon épaule, mon père qui était derrière et qui écoutait sans rien dire. Plus tard, je pus tout juste lire à table une mélancolie nouvelle dans son regard, des silences, une absence. Plus tard encore, je voulus jouer une vraie révélation dans la voiture avec mon autre frère. Je me dédoublai de l'autre côté du pare-brise pour contempler sa réaction : il avait "acheté" l'information à notre petit frère il y a deux ans déjà, ayant de fort doutes. Bon.

Le petit ange sarcastique riait bien en me voyant sur le quai en route vers chez moi, inchangé après des années de silence angoissé. Il n'y avait plus de secret, plus de jeu à jouer. Et il pouvait partir rejoindre le néant, fier d'avoir été aussi inutile. Pour mon anniversaire, j'ai tout de même demandé à ma mère, un rideau. Rouge, bien sûr.

3 commentaires:

Xander a dit…

Il ne faut cependant pas sous-estimer le confort de la simplicité, de l'évidence...

love streams a dit…

Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Xander a dit…

Que certaines personnes ont eu beaucoup de problèmes avec leurs familles à cause de leurs l'homosexualité... Qu'elles rêvent aussi que les choses soient aussi simples que dans certains cas...