lundi 3 décembre 2007

la nuit qui ne m'appartenait plus


Rencontrer quelqu'un, c'est toujours dans un lieu et un temps donnés. Ainsi je préfère voir certains amis en été, d'autres en hiver, certains chez moi, d'autres dans les bars. Il y aurait quelque chose d'incongru et de déplacé à voir untel ici plutôt que là... Et puis il y a les amours. Aimer quelqu'un dans une bulle close sur elle-même loin de tout, combien cela est facile. L'aimer partout et en tout temps demande un peu plus d'abnégation.

C'est ainsi que Ben, mon amant australien, est venu chez moi passer quelques jours. Il y a dans sa présence outrancière quelque chose qui violente infiniment mes habitudes de garçon rangé. Je déteste ça, j'adore ça. Il est souvent maladroit, parfois sale, et toujours d'une tendresse un peu étouffante - P. le compare très justement à un gros chien. Quand nous sommes sortis du cinéma ce jour-là, il m'en voulait déjà parce qu'il savait que j'avais aimé "le plus mauvais film du monde" selon lui. C'était faux, je ne l'avais pas aimé, ce film, mais devant son insistance un peu puérile à dire que Wong Kar-wai n'était pas un artiste ("In Australia, he's like a François Ozon"), et aussi parce qu'il avait soupiré très fort pendant le film (extraits de la dispute qui s'ensuivit : "Le cinéma pour moi, c'est comme aller à l'église, la lumière s'éteint et on regarde l'écran blanc : c'est sacré", "Yes but it was the biggest shit I have ever seen, nobody can like it" "Toute la salle n'a pas forcément envie d'avoir tes commentaires, ils viennent pour le film pas pour toi"), devant son insistance donc, je n'ai pas nié et l'ai laissé croire que oui, je l'avais aimé, puis j'ai choisi de dévier la conversation pour ne pas avoir à me justifier face à quelqu'un qui, à ce moment-là, fuyait toute dialectique. Il a naturellement baissé son visage (la position autruche à laquelle je sais désormais ne plus répondre). Et puis nous sommes allés boire des verres avec P. et nous n'avons plus parlé de My Blueberry nights. J'étais juste un peu triste parce que WKW s'était perdu aux Etats-Unis et que je ne pouvais en parler à personne.

Notre relation avait changé quelques jours plus tôt. Tout s'était cristallisé autour du sexe. La première soirée, nous avions fait l'amour deux fois, enfin faire l'amour, c'est vite dit et voilà bien le problème : en me regardant, en me touchant, il m'aimait, mais dès que nos sexes étaient découverts, je n'étais plus qu'une chair triste entre ses mains. Le prendre, me faisait mal. Me faire prendre, me faisait mal. Tout était douleur. Plus tard, il s'est couché et j'ai regardé ses mails laissés ouverts sur mon ordinateur. Il y avait quelques messages pornographiques sur un site de choix. Mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai tout lu, tout effacé et suis allé me coucher le plus loin possible de son corps souillé. Ses gestes de tendresse me répugnaient, ses mots mielleux, ses baisers salés, tout... Je n'ai pas dormi cette nuit-là. Au réveil, je lui ai tout avoué, ainsi que nous ne coucherions plus jamais ensemble, qu'il m'avait "baisé", trahi, sali, et qu'après ses plus de 1000 amants, ses expériences dans la drogue, il était incapable d'aimer quelqu'un sexuellement - j'en avais encore mal aux entrailles. Il a beaucoup pleuré, il s'est excusé profondément, a supprimé son profil sur le site en question et a fait un voeu de chasteté - car il ne fait jamais les choses à moitié. Peu à peu, je me suis laissé reconquérir, et nous nous sommes embrassés bien des fois durant les jours qui ont suivi. Il a répété des serments d'amour, un amour redevenu pur et neuf, où le désir était présent, mais sa réalisation absente. Ironiquement, nous étions revenus à l'état des personnages de Wong Kar-wai, à se désirer de loin, et à s'aimer dans des circonvolutions tel le partage de la nourriture. S'il avait été capable d'écouter après le film, voilà ce que je lui aurais dit : même un mauvais film de Wong Kar-wai me touche davantage qu'un film plutôt correct de tous ces réalisateurs interchangeables qui tombent toutes les semaines sur les écrans... Heureusement, cette semaine-là, il y avait aussi le film de James Gray, comme pour me consoler. Il portait le doux titre de La Nuit nous appartient.

Aucun commentaire: