mercredi 16 mai 2007

la naissance des dieux


Nous marchons côte à côte pour la première fois. Il parle beaucoup. Il ne me regarde pas vraiment. Moi non plus.

Dans ce café près de Beaubourg, nous nous asseyons face à face. D'un coup, son regard, marron et profond. Je m'y noie. Au lieu de le trouver charmant, pour la première fois, je le trouve beau, d'une beauté inouïe.

Nous nous séparons pour la première fois. Gênés, nous ne savons pas faire. Il me regarde, je baisse les yeux - va-t-il me proposer un dîner, de le suivre ? Je le regarde, il baisse les yeux - vais-je lui proposer de dîner, de me suivre ? Nous partons, lentement, en nous retournant, en nous souriant, en ne nous disant rien, et puis si, il faut se revoir vite, parce qu'il est Catalan et qu'il rentre chez lui dans trois jours. Nous esquissons un "à demain" qui résonne tendrement. Comme une promesse.

Téméraire, je l'invite cette fois à dîner chez moi. J'ai honte, je sens qu'il pourrait se passer quelque chose, j'essaie de trouver un chaperon, sans succès. C'est que je tiens à ma fidélité nouvelle. Que seraient ces deux mois d'abstinence durement conquise, ces deux mois de refus de séduire et de se donner ? Je suis toujours effrayé devant l'absence de nécessité. J'ai l'impression que je pourrais coucher avec lui, ou pas. Alors je ne veux pas. Mais il me plaît.

Il entre chez moi. Il furète partout, sort les livres, les DVD, en déduit que j'aime Fassbinder - il en a vu un. Je me rappelle alors cette conversation avec P. qui me parlait d'un garçon qui me "plairait à mort mais qui n'a sans doute jamais entendu le nom de Fassbinder" ; je lui avais répondu : alors il ne me plairait pas tant que ça. Je souris devant la remarque de mon invité catalan. Il ne le sait pas mais il vient de passer une porte. Le temps passe, léger, il parle avec une loquacité peu commune pour un étranger. C'est qu'il parle sept langues, dont le Japonais, qu'il a vu et vécu tant de choses - il m'impressionne. Mieux : j'aurais pu l'inventer, l'écrire. Et puis ce n'est pas tant son don que sa façon de parler, faite de petites expressions si françaises qui me font oublier qu'il ne l'est pas, des expressions que j'affectionne et que j'entends rarement, si ce n'est dans ma propre bouche. Il parle de lui, me pose des questions, animé par une curiosité dévorante. Il est infiniment séduisant. Il passe une deuxième porte.

Je reviens de la cusine et le trouve à demi alangui sur mon canapé. Je m'assois par terre à quelques dizaines de centimètres de son visage. Il regarde un film sur le Japon que je lui ai proposé, et moi je le regarde. Il n'a pas voulu sortir tout à l'heure, voir des amis. Il ne dit jamais les choses directement, il a juste dit non à tout ce qui n'était pas rester là, seul avec moi. Nous allons nous embrasser, la ligne est toute tracée. Alors nous jouons à ne pas le faire. Il me regarde droit - une invitation - mais je ne cède pas. Je suis si bien dans cet instant du juste avant, un instant qui prend un malin plaisir à durer, à ne surtout pas s'achever.

Finalement, oui, je l'embrasse. C'est toujours moi qui embrasse. Je dois faire un peu peur aux garçons. Je l'embrasse doucement, très doucement. Il faut profiter de chaque frémissement. La première fois que je sens son souffle, la première fois que nos lèvres s'effleurent, entrent en contact, puis cette humidité nouvelle, fraîche, sur la peau brûlante. Le temps s'arrête. Le temps n'existe plus. Il n'y a plus que deux âmes, à la lueur d'une bougie et d'une télévision encore allumée, qui se croisent, se cognent délicatement. Depuis qu'il est entré tout à l'heure, plus aucune question, plus aucun doute. Tout est gracieux, donc beau, donc nécessaire.

Nous avons mis longtemps à nous déshabiller. Très longtemps. Il a embrassé chaque parcelle de ma peau. Et moi, sous ses baisers, je retrouvais des sensations oubliées. Tout remontait à la surface, à la surface de ma peau. Un lent et long orgasme de près de quatre heures, voilà ce qu'aura été cette première nuit ensemble. D'une main douce, il m'allonge sur le ventre. Il me lèche les pieds. Les genoux. Il caresse mes mollets, mes cuisses. Déjà, je ne sais plus où je suis. Tout est différent. Je regarde la lumière de la flamme devant moi. Et cette sensation qui remonte le long de mon corps. Mon dos, ma nuque, mon dos, mes fesses. Il me dévore entièrement. Je ne pense plus à rien. Je le touche moi aussi. Son ventre, ses poils, ses tétons. Je les mordille et les lèche. Il a encore son slip noir. Mes lèvres le contournent - et son sexe, que je sens pour la première fois, humide, brûlant. Je ne tarderai pas à le libérer, à le prendre dans ma bouche. Tout à coup, ému, j'enserre ma main autour de ce sexe ferme et droit et je remonte jusqu'à sa bouche pour l'embrasser, l'embrasser, l'embrasser. Je m'arrête et éloigne mon visage juste assez pour le regarder vraiment, ma main est immobile, mon regard dans le sien. Un instant. Nous ne disons rien, nous nous contemplons, nous nous contemplons en train de nous aimer. Je suis submergé par une vague nouvelle, j'ai envie de pleurer, il le voit peut-être, lui aussi il a les yeux humides. Plus tard, encore, après bien des caresses, des rires, des baisers, nous nous regarderons encore ainsi, plusieurs fois, dans le silence de l'amour. Comme dans un film de Gus Van Sant, nous prenons involontairement des poses, figés pour l'éternité dans cet instant de l'amour physique.

Quand je suis entré en lui, il n'y avait plus aucune barrière entre nous. Celle du préservatif n'en était même pas une à mon plaisir. Il m'a demandé de rentrer complètement et de rester là, comme ça, un moment. Il y a quelque chose de sacré dans cet acte-là, dans ce plaisir qui nous dépasse. En lui, je ne me sentais pas comme un animal, mais plutôt comme un dieu. Oui nous étions deux divinités sur le Mont Olympe, un désert d'hommes et de pensées, il n'y avait plus que nos deux corps à jamais réunis. Je l'ai pris longtemps, mon plaisir ne comptait pas vraiment, je ne voulais pas lui faire mal, alors j'allais très lentement, j'ai attendu qu'il me demande. Plus profond, plus vite. J'entendais son souffle, ses gémissements légers et réguliers, je sentais sa sueur monter sous mes mouvements. Je cherchais son regard, marron et profond, celui dont j'étais tombé amoureux la veille. Ce regard, il était planté sur moi, ou plutôt il m'enveloppait, comme une douce certitude. Finalement, derrière lui, je me suis collé à son dos, moite, pour lui dire, en me baissant vers son oreille, comme une morsure : je vais jouir. J'aurais pu lui dire que je l'aimais avec la même voix, le même ton. D'un clignement d'oeil, il me dit que lui aussi. Et nous jouissons. En même temps.

J'ai tout oublié, tout. Nous sommes allongés et nus côte à côte encore enlacés. Je me souviens avoir retiré un préservatif blanchi par le plaisir et l'avoir posé par terre dans un kleenex. Mais je ne me souviens plus comment j'ai atterri là, couché si près de lui, sentant son odeur et son souffle. Je suis bien. Je ferme les yeux, tout est blanc. Bientôt, il ne sera plus là. Il rentrera chez lui, loin. Mais je n'y pense pas. D'ailleurs, je ne pense pas du tout, je ne suis qu'un corps battant, le mien ou le sien, je ne sais plus, ou quelque chose entre les deux, dans l'interstice entre sa cuisse et ma taille, entre mon front et sa main. Bientôt, il ne sera plus là. Il rentrera chez lui, loin. Qu'importe puisqu'il est là, d'une présence évidente, émouvante. C'est sous la douche un peu plus tard que je comprends pourquoi j'ai tant voulu ne plus coucher avec des garçons, et pourquoi j'ai couché avec celui-ci, mon ange, mon amour. C'est sous la douche que je vois la grâce de l'eau qui coule sur son front, son torse, son sexe. C'est sous la douche que je sens que je suis différent d'avant, d'hier - et si je suis différent, c'est que quelque chose a existé, que quelque chose existe. Des larmes inondent mes joues, je brandis le pommeau pour les noyer dans l'océan de l'eau qui coule, comme une dernière pudeur, pour ne pas lui montrer que je pleure de joie. Et puis si, je lui montre, que je pleure, que je l'aime, et je l'embrasse encore, brûlant. Je l'embrasse et renais sous ses baisers - l'eau qui coule et se perd sous nos pieds.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Simplement beau et poignant, parce que ça a la force de l'évidence. Oui, poignant.

love streams a dit…

Deux semaines plus tard, juste le temps d'oublier et de se souvenir, je lui ai écrit en substance : "Je pense à ton regard, à ta peau, à ces moments que nous avons vécus et qui me semblent encore si vivants"
Il m'a répondu : "Je n'ai pas les mots qu'il faut pour répondre, c'est très beau ce que tu m'as dit. Cependant, tu sais que même sans pouvoir l'exprimer je ressens la même chose."
A plus de mille kilomètres de distance, il doit encore rester quelque chose de l'évidence, oui.