jeudi 12 avril 2007

le mausolée des amants (réflexivité)


Je me demandais quoi faire pour changer un peu le ton de ce drôle d'objet qui apparaît en ce moment sous mes doigts, et plus tard, lecteur, sous vos yeux, sous tes yeux - c'est-à-dire, ça y est, maintenant.

Je me suis dit d'abord que je ne parlais que de mes rencontres, que cela allait vite devenir répétitif, que tout cela n'était peut-être qu'un leurre, de la surface. Ce qu'il fallait raconter ce n'était pas les rencontres, mais bien les moments "entre", la solitude, la pensée l'après-midi, la sieste de 15h, la masturbation de 17h, les doutes de 18h, l'épiphanie de 20h. Mais non, cela deviendrait vite tout aussi répétitif.

Hier, j'ai rencontré un garçon, mais je ne vais pas en parler, j'en ai marre de parler des garçons. Et puis nous nous sommes vraiment plu, alors c'est embêtant d'écrire sur ça. Pourtant, quand je lui ai dit j'aurais "La Montagne magique" entre les mains et qu'il m'a dit je prendrais "L'Alchimiste", confondant avec la "5ème Montagne" de Coelho, j'ai failli renoncer. Je savais que Thomas Mann serait content s'il savait l'usage que je faisais de son livre, je savais aussi qu'il devait se retourner dans sa tombe d'avoir été confondu avec un autre. En même temps, ce garçon a voulu me voir parce que je m'étais qualifié d'élitiste, et c'est pour cela que je n'ai pas renoncé. J'aurais dû lui faire la liste : tu n'es pas pour moi et je ne suis pas pour toi si tu aimes Paolo Coelho, Anna Gavalda, Florian Zeller (etc, etc, je ne connais pas tous les grands écrivains de notre époque). Le cinéma, ce serait presque pire, tout le monde aime le cinéma, enfin c'est ce que chacun croit (je fais bien le cynique, là, hein ?). Mais mon dieu, avoir comme cinéaste préféré David Lynch, c'est d'une tristesse... Et aimer "Little Miss Sunshine", et dire que tel film est un "joli film", et défendre l'univers "magique" de Tim Burton (ok il a fait "Ed Wood", ce qui le sauverait presque), et je ne parle pas du dernier Scorsese, de l'intégralité de l'oeuvre de Spielberg, des films "girly" qui inondent les écrans, etc. Fin de la parenthèse misanthrope - je retourne à mon amour des hommes, l'absolu respect qui me caractérise, je suis face à lui, il est charmant, il parle bien, et, miracle, il n'a pas pris le Coelho finalement mais "Mémoires d'Hadrien" de Yourcenar, ce qui me permet de lui expliquer la cadence ternaire des phrases latines et d'être absolument sincère avec lui, osant à présent tout lui dire, bref je lui sors le grand jeu - il y a des portes qu'il faut pousser pour pouvoir se perdre dans les bons méandres d'une personne. Mais il n'y a rien à dire sur lui parce que je suis sûr de le revoir, que je suis sûr de lui plaire (NDLR castratrice : qu'il me plaît), et qu'il se refuse à vivre une passion (NDLR castratrice : avec moi). C'est finalement le meilleur des cas possibles : nous allons, si le temps le permet, devenir amis.

Je crois surtout que je ne peux pas écrire sur lui parce qu'il n'est pas (encore) assez éphémère. Je ne dois pas le fixer, tel un papillon sur un mur, pour me dire, rassuré, qu'il existe, qu'il est passé dans ma vie, qu'il est quelque part, en moi, ici. Et je ne dois pas encore le retrouver, puisque je ne l'ai pas perdu. Il est dans cet état imprécis où l'esquisse n'est pas encore tracée, le tableau pas encore volé. Voilà, c'est peut-être sur cela qu'il faut écrire, construire un mausolée à tous ces êtres fugitifs ou perdus, rêvés ou retrouvés.

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