jeudi 19 avril 2007

l'ombilic politique (le monde et le moi)


Malheureusement, il ne croit plus à la politique. Il va aller voter, bien sûr, mais il sait que les dés sont jetés et que c'est la masse silencieuse qui décidera, celle qui a peur (cliché). Mais, bon, il se dit que si tous les gens qui n'y croient pas y vont quand même, peut-être que...

Il aurait voulu qu'on lui parle d'idées, qu'on lui fasse comprendre des choses (il est jeune et naïf). Il aurait voulu être éduqué, vraiment, c'est-à-dire qu'on lui apprenne à être libre, par la télévision, la radio, les journaux. Il trouve cela idiot parce qu'il va y aller, voter, comme beaucoup d'autres, sans y croire. Il a lu jadis Rousseau, Montesquieu, les révolutionnaires, et il aimerait qu'on lui parle de la Cité comme cela, avec des idées à défendre, à penser. Mais il a du mal à écouter, parce que, quand il se plonge dans les discours, les programmes, on essaie de le persuader et non de le convaincre, on ne lui parle qu'avec des sentiments. Par exemple, on ne dit plus le travail, on dit "valeur travail" pour lui donner l'apparence d'un concept, mais derrière la robe d'apparat il n'y a qu'une émotion tremblante et nue. Par exemple encore, on invente des mots, ou les remet au goût du jour, amer le goût du jour. L'insécurité, qu'est-ce que c'est ? C'est une peur - donc un sentiment, pas une idée. Des voitures enflammées en banlieue, qu'est-ce que c'est ? Une image de cette peur, véhiculée par le dieu télévision, la seule réalité du monde. Elle a sonné les Américains, cette image d'une France à feu et à sang ("The New Revolution in France ?", "Are you OK, alive, in danger ? Come here, New York is safe... well, I mean..."). Il y repense à cette image parce qu'hier son nouvel ami sarkozyste, le seul de sa vie entière, l'a évoquée comme une preuve : tu vois, il y a des raisons d'avoir peur... Il repense à la Gare du Nord par laquelle il passe souvent, il n'a pas pu s'y arrêter ce fameux soir... Comme un évitement du politique. C'est triste à constater mais il n'est vraiment touché que par les événements qui trouvent un écho en lui, dans sa vie quotidienne. Comme si une fois pour toutes, le monde et le moi avaient été séparé.

Parfois, tout de même, un événement (du réel) entre dans sa vie (imaginaire). A 22H, il subit un vol, à 23, fait une déposition au poste, à minuit, en veut davantage aux policiers idiots qu'aux voleurs. Le sentiment de rage donnerait presque naissance à une idée politique, une certaine idée humaniste et sans doute dépassée que si tout le monde - les voleurs comme les policiers - était formé, alors peut-être...

Autre lieu, autre temps (il y a deux ans) : il se rend dans un pays auquel il ne comprend rien, une violence dans l'air, celle d'un conflit. Dans la rue, des voix qui parlent trop fort, des regards qui tranchent durement. Au bout de trois jours, il veut partir, quitter cette agression permanente, au bout d'une semaine il veut rester, pour voir, s'étant attaché à la beauté des paysages et à la sincérité parfois grossière des habitants, et quand après deux semaines il part enfin, il aimerait revenir, vite. Depuis lors, il comprend quelque chose de cette terre, intimement, et dont nul journal (télévisé ou autre) ne pourra jamais rendre compte. Il a aimé un pays, et appris, sur place, la dialectique. Une entrée du monde en lui. L'expérience d'Israël lui a offert cela.

Autre temps, autre lieu (hier) : il lit tout ce qu'il peut sur un massacre récent commis par un Sud-Coréen dans cette faculté où tout le monde semblait tant vouloir l'intégrer mais où il a tué 32 personnes. Il se souvient qu'il a écrit un article sur un film qui parlait d'un monstre créé par les Américains en Corée, "The Host". Il disait en substance que le film était une allégorie des rapports entre la Corée et les Etats-Unis, que l’hôte, c’est la bête qu’on a laissée entrer en son sein et qu’on ne peut détruire qu’en se détruisant soi-même. Il trouve cela étrange cette inversion (la Corée dans l'Amérique) et la façon dont le film l'avait préparé à lire cet événement comme terriblement logique.

Autre temps, autre lieu (tout à l'heure) : il appelle une amie qui lui dit avoir croisé des amis communs au meeting d'un certain FB, et qu'un de ceux-là a perdu 30kg. Il pense qu'elle plaisante. Mais non. Il n'y comprend définitivement plus rien. Il regarde tous ces gens qui ont changé, ces 30kg de différence qui ne sont pas que physiques. Il voit bien qu'il y a des gens convaincus, alors, lui, il le veut aussi, être convaincu : il relit les textes qu'on lui a envoyés, tel texte interdit sur NS, tel autre qui explique tel programme de FB, de DV ou de SR, et il a mal au ventre de ce monde auquel il n'a plus accès. Il a 18 ans, 25 ans, 35 ans, il n'a jamais voté pour un président auquel il a cru, ni même qu'il a voulu, et il se sent étranger, étranger au monde qui donnera un nouveau visage à la France, là, demain. Oui, bien sûr, il va y aller, pour éviter le pire, mais pas sûr qu'en sortant de cette petite école rebaptisée bureau de vote, il n'ait pas un peu la nausée...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Très beau texte, remarquablement "bien vu", j'y trouve beaucoup d'échos une fois de plus.

Xander a dit…

De quel film est prise la photo ?
Elle fait très "film égyptien"...

love streams a dit…

Egyptien ? Italien plutôt... c'est "La Notte" (la nuit) d'Antonioni.

Xander a dit…

Oh oui, désolé, j'avais oublié que tu ne pouvais pas comprendre ce qu'un tunisien sous-entend par "film égyptien"...

Je suis triste depuis hier 20 heures...

love streams a dit…

Je pense que ce sont les coiffures qui sont à l'origine de ta méprise. Et l'ombre sur les visages. Ceci étant dit, je ne pense pas que Marcello Mastroianni, Monica Vitti et Jeanne Moreau soient vexés...

(Heureusement que tu es à motié européen).