dimanche 8 avril 2007

pour un seul de mes deux yeux


Tu me manques. C'est le message que m'a envoyé Y. de la Terre Promise. Moi, je suis un peu inquiet. Voilà une semaine qu'il est parti, et il ne m'a toujours pas manqué. Certes, j'ai été débordé, mais je ne peux nier que ma relation avec lui est incertaine ces derniers temps, qu'il est peu présent quand il est là, et que mes moments de bonheur récents sont davantage dus à des amis, ou à un bien-être solitaire. Je me souviens encore de C* qui trépignait sur le quai en regardant vers la mer attendant son marin. Je me souviens qu'elle a vu le bateau avant même que mon oeil ne devine la moindre tache noire sur le bleu de la mer et du ciel. Je me souviens combien elle était rayonnante quand il est descendu à terre et qu'elle l'a serré dans ses bras. Serai-je aussi heureux quand Y. rentrera ?

Comme quasiment tous les jours en ce moment, je passe près de deux heures au téléphone avec JM qui me dit pour finir que je suis oedipien. Parce que nous avons parlé de ma mère ? Non, parce que tu es aveugle. J'ai oublié à propos de quoi - quelque chose d'anodin sans doute - il s'est ainsi moqué de moi, mais je n'ai pas oublié que j'étais aveugle, et je n'allais d'ailleurs pas cessé de le prouver.

Quelques heures plus tard, rendez-vous avec D., un amant récent, et P., un très ancien amant devenu ami (n'est-ce pas à lui que j'ai avoué que le sexe était pour moi un moyen de me faire des amis ?). Après un restaurant quelconque (P., qui l'a choisi et qui est si gourmet, se déversera en excuses par la suite), nous passons la porte d'un premier bar parisien. Nous nous installons au fond de la salle, et mon regard est attiré par un garçon, un beau garçon cela va de soi, mais surtout qui me dit quelque chose - comme si je l'avais déjà désiré. Il est avec un autre garçon, beaucoup moins remarquable, et qui, ainsi plongé dans le noir, me fait même un peu peur. Je me retourne encore pour vérifier : Où ai-je donc vu ce garçon ? Je me retourne une troisième fois : Ce beau garçon est-il vraiment avec cet autre ? Je me retourne une quatrième fois : Oui, c'est certain, je l'ai vu ailleurs, il était différent. L'autre garçon n'a pas manqué mes regards, et je rougis instamment. Dix minutes passent, il y a prescription : je me retourne à nouveau. Le deuxième garçon m'invective par mon prénom et me dit de mettre mes lentilles - que pourtant je porte. Vertige. Je m'approche. Il porte une chemise noire, comme d'habitude - habitude parce que je l'ai vu ainsi vêtu une bonne cinquantaine de fois. C'est un ami de Y., et je le connais très bien. J'ai un peu honte. Il me dit qu'il se demandait pourquoi je ne voulais pas lui parler, si je voulais me cacher. J'ai très honte. Mais non. Je ne t'avais pas reconnu, enfin, j'ai eu comme un trou noir. Un trou noir ? Je suis sous terre de honte, d'autant plus que je viens aussi de comprendre où j'avais vu l'autre garçon, le très beau - à cette fameuse soirée qui m'avait renvoyé à mon narcissisme (Cf. 9 mars). Bien sûr, lui comme moi, nous faisons semblant de ne plus savoir où nous nous sommes vus. Connard, tu m'as dragué, tu pourrais faire un effort... (c'est ce que je pense) Ce ne serait pas au T. pour la soirée du...? (C'est ce que je dis) Bref, je lâche le morceau, il se souvient. Il sourit, il est sûr de lui, il est moins impressionnant que lors de notre première rencontre, mais quand même, il est sacrément beau, et il a même l'air plus intelligent... Nous échangeons quelques mots, et heureusement pour moi le ridicule ne tue pas et peut donner une certaine contenance. Au moment de partir, les deux garçons viennent me dire au revoir. G., oui, nommons-le puisqu'il reviendra bien un jour sous une forme ou une autre, G. donc, me lance un "A bientôt" qui résonne et fait se retourner P. qui n'a rien manqué de notre petit jeu...

Pendant ce temps, D. a accueilli d'autres amis, qui en ont eux-mêmes accueilli d'autres. Il n'a rien vu, et me presse un peu. Il aimerait bien dormir avec moi. Il était déjà contre sa morale de fréquenter de trop près un garçon de mon espèce (lire : marié), et voilà qu'il aiguise lui-même les lames de ses tourments. Non, D., tu sais bien que je suis en période d'ascèse. D. est brésilien, il ne le dit pas mais je sais qu'il ne comprend pas le sens du mot "ascèse". Je le suis néanmoins quand il faut aller dans un deuxième bar. Nous passons une porte, puis une autre, et nous voilà dans un sous-sol. Je reconnais assis au fond deux garçons, des amis de Y. Ayant sans doute retenu la leçon - cela arrive, même aux pires - je leur saute immédiatement dessus. C'est moi qui domine cette fois, et si la scène se joue de la même façon - deux garçons assis qui me regardent debout - je n'endosse définitivement plus le même rôle. Quelques échanges plus tard, je remonte dans l'autre espace. Une odeur persistante de sueur me répugne un peu. La promiscuité soudaine de ces corps inconnus me déplaît franchement. Un bar qui a tout d'une backroom - les corps qui couchent en moins. Envoyés du ciel pour m'égayer, deux garçons partent, je suis sur leur chemin, tous deux me sont inconnus et ont l'air charmant autant que l'absence de lumière me permette d'en juger. Pourtant, l'un d'eux me glisse à l'oreille : Il est amoureux de toi. Ils sont déjà partis, mais ils m'ont fait sourire. Tandis que P. se fait draguer par un garçon avec qui il ne couchera pas, D. tente à nouveau sa chance avec moi. Je n'ai pas beaucoup de volonté ce soir (quand en ai-je ? serait plutôt la question), et je me laisse draguer, toucher - sa peau est si douce, il sent si bon - mais pas embrasser. Sans le vouloir, j'ai repassé la porte. Nous sommes là, dehors. P. part seul. D. me propose de "juste dormir" avec lui et de prendre place sur son scooter. Je ne sais pas dire non à ça. Dormir, je m'en fiche. Mais être derrière quelqu'un, dans le vent, Paris la nuit, tout ça... Il en faut bien peu pour me séduire. Et puis non, je décide que c'est beaucoup ce qu'il m'offre, cette sensation de liberté, ce froid dans les yeux, cette pure jouissance de l'instant. En bon Brésilien, D. sait jouir de l'instant. C'est ce que j'aime chez lui, c'est ce qui explique que j'ai couché avec un garçon apparemment aussi superficiel - et que je dormirai et recoucherai avec lui ce soir et demain matin. Tout à coup, mes voeux pieux n'ont plus aucune espèce d'importance. Envolés, les programmes idiots et les idées toutes faites, je ne suis plus que du vent sur un visage.

J'ouvre les yeux. Réveil tardif. Retour à la réalité. C'est le matin. Chez lui, je n'avais pas où mettre mes lentilles, alors j'ai concocté une solution à base d'eau et de sel. En essayant courageusement de les remettre, je me rends compte que ma lentille gauche était repliée et donc pas entièrement trempée : elle est bonne à jeter. Je me retrouve avec un seul oeil. Je sors de chez lui comme un boiteux. Message de Au* : elle aimerait bruncher avec moi. C'est sur mon chemin, et malgré mon oeil manquant, j'accepte sa proposition. Tant bien que mal, je me repère en l'appelant quatre fois pour être sûr que c'est bien à telle rue qu'il faut tourner, celle qui est après telle autre et qui est la seule que je puisse reconnaître dans mon état. Tout à coup, je vois une silhouette plus fine que les autres dans la foule d'ombres autour de moi. C'est elle. Elle m'accueille avec des lunettes noires à faire pâlir de jalousie Isabelle Adjani. Elle n'a pas beaucoup dormi elle non plus, et me demande d'accepter qu'elle n'enlève pas ses lunettes - ce qui lui donne un aspect encore plus fatigué, mais peu importe puisqu'elle les enlèvera d'elle-même un peu plus tard. Au milieu d'une infinité de remarques superficielles sur l'amour, le sexe et autres gourmandises (nous surjouons "Sex and the City"), elle évoque son grand amour (passé) avec une pointe de tristesse. Elle me demande des nouvelles de Y. Le mien va bien, je crois, de grand amour (présent). Je crois, car je ne lui ai pas parlé hier - et cela n'arrive qu'une fois l'an, un jour où l'on ne se parle pas du tout, me dis-je. A ce moment-là, je ressens un pincement étrange du côté du coeur. Il m'aura donc fallu un mauvais restaurant, la solitude de P., les retrouvailles avec G., quelques garçons croisés, le corps de D., les amours de Au* pour m'avouer que oui, il me manque. Aveugle, vous avez dit aveugle ?

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